Les récentes protestations d’une minorité d’anciens étudiants de Polytechnique contre la volonté du groupe LVMH de s’implanter sur le campus de Saclay semblent révélatrices d’une forme de radicalisation qui touche tout l’enseignement supérieur français. Quand les postures militantes menacent la culture de l’excellence.
En projetant d’implanter à Polytechnique un centre de recherche dédié au « luxe durable et digital », le groupe LVMH s’imaginait remplir une simple formalité. Mais contre toute attente, l’installation d’un centre de recherche étroitement lié à l’entreprise sur le plateau de Saclay a rencontré la même opposition que celle rencontrée par le groupe Total quelques mois plutôt, avec un projet similaire. Mais si dans un cas, le lien avec les énergies fossiles et le réchauffement climatique peut expliquer aisément l’opposition de certains étudiants de sensibilité écologiste, ce n’est pas le cas du tout pour LVMH.
Motif de la colère ? Les opposant au projet dénoncent l’arrivée d’un géant du capitalisme sur leur campus, l’indécence du secteur du luxe en pleine crise et surtout, une forme de greenwashing de LVMH. Et le groupe français a beau mettre en avant sa politique environnementale, ses dispositifs d’économie d’énergie, ses mesures en faveur de la protection des espèces menacées… Il se heurte à un mur.
Car qu’une opposition d’une minorité d’anciens élèves à ce projet apparaisse, c’était peut-être attendu. Mais que tout dialogue, toute négociation soit rendue impossible, que toute tentative de conciliation soit inenvisageable, c’est nouveau dans cette prestigieuse école, plus habituée aux débats et aux réflexions de haut niveau qu’au tintamarre jusqu’auboutiste des AG étudiantes.
Ce radical refus du compromis, c’est bien là le danger, et probablement, la nouveauté. Évidemment l’esprit rebelle et contestataire des étudiants est presque aussi vieux que l’enseignement supérieur lui-même. Déjà durant l’antiquité grecque, les sages se plaignaient du caractère frondeur de leurs élèves : « Cette jeunesse se conduit avec une suffisance vraiment intolérable. Elle croit avoir la science infuse. Quand moi j’étais jeune, on nous apprenait les bonnes manières et le respect que l’on doit à ses parents. Mais la nouvelle génération n’a de cesse de contester et elle veut avoir raison » écrivait déjà le poète Thèbes au 8ème siècle avant Jésus Christ. Et que dire de la remuante Sorbonne, qui, durant tout le Moyen-âge, donne déjà des sueurs froides aux autorités municipales : en 1229, une violente grève y est organisée pour protester contre les mauvais traitements subis par les élèves de la part des sergents du guet, chargés du maintien de l’ordre dans la capitale. Au XVème siècle, une puissante révolte fiscale née sur les bancs de l’université oblige l’autorité royale à donner raison aux étudiants. Et de Mai 68 en passant par la mort de Malik Oussekine, le mouvement estudiantin a toujours été remuant, rebelle ou insubordonné, et souvent pour des causes justes et louables.
Le grand basculement, dont cette affaire de LVMH à Polytechnique n’est que le symptôme, c’est que la politisation n’a pas changé d’échelle, mais de nature. Et le dialogue est devenu impossible… Jusqu’à Polytechnique, pourtant temple de la raison mathématique.
Entre wokisme et fanatisme, il n’y a qu’un pas
Dans un excellent essai publié chez Grasset, le professeur de la Sorbonne Jean-François Braunstein s’inquiète de l’aspect religieux et dogmatique du « wokisme », qui va bien au-delà des combats sociaux ou sociétaux, pour proposer, selon lui, une vision de l’Homme et de l’Humanité qui rompt avec le réel. En faisant primer le discours sur la réalité des corps biologiques, en critiquant l’universalisme antiraciste comme un cheval de Troie d’un racisme déguisé et surtout, en faisant de la science et de la raison des héritages de la domination occidentale qu’il faudrait déconstruire, tous ces mouvements d’idées offrent une vision du monde binaire, sans nuance et aux relents messianiques.
Et alors que les mouvements alermondialistes d’extrême-gauche s’essoufflaient et se ringardisaient au tournant des années 2010, ce « bain culturel » du Wokisme a été le terreau fertile de leur renouveau. Un nouveau logiciel de pensée, plus radical, dans lequel leur haine de l’Occident, de la Science ou du Capitalisme se trouvait encore plus légitimé.
Selon une étude de Harvard sur les étudiants en science politique du monde entier, 72% d’entre eux penchent à gauche, dont 14% à la gauche radicale. Au Royaume-Uni, un universitaire sur trois (35 %) a avoué s’adonner à « l’autocensure », par crainte de répercussions négatives de la part des autres professeurs ou étudiants (perte de privilèges, rétrogradation voire même d’un préjudice physique). Dans les universités britanniques, 25 % des étudiants ont peur d’exprimer ouvertement leurs opinions. 12 % d’entre eux ont entendu parler d’incidents où la liberté académique a été entravée.
Et c’est précisément cette atmosphère radicale, ce ton directif et cette ambiance délétère que l’on retrouve désormais dans les hautes écoles françaises, jusqu’à Polytechnique.
Pour l’instant, ces mouvements se contentent de flirter avec l’État de droit. Mais en Allemagne, le chercheur Alexander Straßner vient de lancer un avertissement : selon lui, les récents blocages de routes et de centrales électriques au charbon par des activistes climatiques lui rappelaient « de manière frappante les premiers membres de la Fraction Armée Rouge lorsqu’ils ont commencé à enfreindre la loi ». Si nous ne sommes pas encore face à la bande à Baader, nous sommes déjà confrontés à des militants arc-boutés sur leurs idéologies et insensibles aux sirènes du débat raisonnable.
Tribune rédigée par Pieter Cleppe rédacteur en chef de BrusselsReport.eu