Enquête ouverte après la plainte contre Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, pour prise illégale d’intérêts

Greenpeace, Anticor et l’association La Sphinx reprochent à Patrick Pouyanné, qui est aussi membre du conseil d’administration de Polytechnique, d’avoir profité de ce statut pour obtenir l’implantation d’un centre de recherche de l’entreprise dans l’enceinte de l’école. Le Parquet national financier a été saisi.

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Publié le 22 septembre 2021 à 07h00 Mis à jour le 22 septembre 2021 à 13h18

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Patrick Pouyanné lors du forum France-Arabie
                  saoudite, à Paris, le 10 avril 2018.

La controverse suscitée par le projet d’implantation d’un centre de recherche de TotalEnergies (ex-Total) au cœur du campus de Polytechnique (l’X), installé sur le plateau de Saclay (Essonne), est loin d’être close. Selon les informations du Monde, le Parquet national financier (PNF) a ouvert, en mai, une enquête préliminaire pour d’éventuels faits de prise illégale d’intérêts, visant le PDG du géant pétrolier, Patrick Pouyanné. Cette enquête fait suite à la plainte déposée le 22 avril par Greenpeace France, Anticor et La Sphinx – une association qui rassemble plusieurs dizaines d’anciens élèves de la prestigieuse école d’ingénieurs – auprès du parquet de Paris. Sollicité, le PNF a confirmé l’information.

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Les plaignants reprochent à M. Pouyanné d’avoir profité de son statut de membre du conseil d’administration de l’X, à compter de septembre 2018, pour influencer, au nom de TotalEnergies, la décision finale de valider le projet, le 25 juin 2020. « On parle du PDG de l’une des plus grosses multinationales au monde et de faits susceptibles de constituer une prise illégale d’intérêts au sein de la plus grande école d’élite française, qui est sous tutelle du ministère des armées, rappelle Clara Gonzales, juriste à Greenpeace France. Au vu des enjeux, cela fait sens que cette enquête soit confiée au PNF. »

Le délit pénal de prise illégale d’intérêts, passible de cinq ans de prison et de 500 000 euros d’amende, consiste, pour une personne dépositaire de l’autorité publique, à prendre, recevoir ou conserver un intérêt dans une entreprise ou une opération qu’elle a surveillée ou administrée. « Patrick Pouyanné a un pied dans deux maisons, il était donc de son devoir d’identifier les risques de conflits d’intérêts en tant qu’administrateur d’établissement public, estime Clara Gonzales. Ces risques auraient aussi dû être évalués par le conseil d’administration, censé garantir l’indépendance de l’enseignement public. »

Influence grandissante sur l’école

Le projet de bâtiment de TotalEnergies est contesté depuis novembre 2019 par des étudiants de l’Ecole polytechnique, soumis à un devoir de réserve en raison de leur statut militaire. Il prévoit la construction dans le cœur historique du campus, à proximité des logements et des salles de cours, d’un centre d’innovation et de recherche dans le domaine des énergies bas carbone de 10 000 m², où travailleront quelque 250 chercheurs. En juin 2020, le conseil d’administration de Polytechnique a déplacé de 200 mètres le lieu d’implantation du bâtiment, ce qui n’a pas suffi à satisfaire les opposants au projet. Ceux-ci ne sont pas défavorables au principe même d’un partenariat avec le groupe pétrolier et gazier, mais ils réclament que le centre soit construit à l’extérieur du campus, comme ceux des autres entreprises partenaires de l’école publique. Ils s’inquiètent, sur le fond, de l’influence grandissante de TotalEnergies sur l’X.

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Pour Patrick Pouyanné toutefois, cette polémique est « absurde ». « Je me moque de construire à Saclay un bâtiment aux couleurs de TotalEnergies, a-t-il assuré lors d’un entretien à La Tribune le 13 septembre. Notre objectif, c’est de profiter de l’écosystème scientifique rassemblé sur le plateau de Saclay (et pas seulement Polytechnique) pour accélérer notre recherche et développement dans les nouvelles énergies. (…) Ce n’est franchement pas notre objectif principal de construire un bâtiment, mais nous restons fermes sur le fait d’installer 200 ou 300 chercheurs de TotalEnergies dans l’écosystème à Saclay. »

Matthieu Lequesne, porte-parole de La Sphinx, juge ces propos « choquants ». « Cela fait dix-huit mois que des élèves, des anciens élèves et des professeurs réclament exactement cela : que TotalEnergies implante son bâtiment plus loin de Polytechnique, n’importe où sur le plateau de Saclay, pour permettre une collaboration sereine mais pas exclusive, explique-t-il. Mais les faits disent l’inverse de ce que M. Pouyanné raconte publiquement. » Selon la plainte déposée par Greenpeace, Anticor et La Sphinx, lorsque le conseil d’administration a étudié la possibilité d’emplacements alternatifs le 20 avril 2020, Patrick Pouyanné a pris la parole pour expliquer que si le bâtiment était éloigné du campus de Polytechnique, cela n’intéresserait pas TotalEnergies.

« Je me suis retiré de la réunion »

Contacté par Le Monde, Patrick Pouyanné déclare qu’« à aucun moment il n’a existé un mélange des genres ». Le dirigeant de la multinationale met en avant la chronologie : il n’a été nommé administrateur de Polytechnique qu’en septembre 2018, « en tant que personnalité qualifiée », donc trois mois après la décision de l’école d’accueillir le projet de centre de recherche. Depuis, « je me suis toujours retiré des débats et me suis abstenu de toute participation aux prises de décision au sein du conseil d’administration de l’X » relatives à ce dossier, assure-t-il. « Je ne suis intervenu qu’une seule fois en ma qualité de PDG de TotalEnergies pour donner le point de vue de TotalEnergies sur le projet, à la demande du président du conseil, puis me suis retiré de la réunion. »

Estimant « incroyable de prétendre qu’[il aurait] été en situation de conflit d’intérêts et encore plus qu’une infraction pénale aurait été commise », M. Pouyanné ajoute : « D’ailleurs, la situation est d’autant plus absurde que le projet immobilier de centre de recherche est maintenant situé en dehors des terrains de l’X (…) et qu’il ne donnera donc lieu à aucun accord d’aucune sorte entre TotalEnergies et l’Ecole polytechnique. » Dans les faits, si le projet est désormais techniquement prévu sur un terrain appartenant à l’Etablissement public d’aménagement Paris-Saclay, il reste pourtant implanté dans l’enceinte du campus.

Depuis le lancement de l’offensive judiciaire, un collectif de près de 500 anciens élèves de Polytechnique a réclamé dans une tribune au Monde, parue le 21 mai, la démission de Patrick Pouyanné de son siège au conseil d’administration de l’X ainsi que l’abandon du projet de centre de recherche. Ils appellent également le ministère des armées à se saisir de la question de la gouvernance de l’institution. « Aujourd’hui, la demande d’exemplarité de la part de la haute administration publique est forte, écrivent ces jeunes diplômés. Or, les dernières révélations sur la gouvernance de l’école ne sont pas à la hauteur de ces attentes légitimes. » Le 1er juin, 350 élèves ingénieurs se sont également regroupés dans la cour Vaneau de l’Ecole polytechnique pour former un « X » géant, afin de montrer une nouvelle fois leur hostilité au projet.

Le chantier de construction du nouveau bâtiment, qui aurait dû démarrer à la mi-juillet, n’a lui pas encore débuté.

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