Enquête ouverte après la
plainte contre Patrick Pouyanné, le PDG de
TotalEnergies, pour prise illégale d’intérêts
Greenpeace, Anticor et
l’association La Sphinx reprochent à Patrick Pouyanné,
qui est aussi membre du conseil d’administration de
Polytechnique, d’avoir profité de ce statut pour
obtenir l’implantation d’un centre de recherche de
l’entreprise dans l’enceinte de l’école. Le Parquet
national financier a été saisi.
La controverse suscitée par
le projet d’implantation d’un centre de recherche de
TotalEnergies (ex-Total) au cœur du campus de
Polytechnique (l’X), installé sur le plateau de Saclay
(Essonne), est loin d’être close. Selon les informations
du Monde, le Parquet national financier (PNF)
a ouvert, en mai, une enquête préliminaire pour
d’éventuels faits de prise illégale d’intérêts, visant
le PDG du géant pétrolier, Patrick Pouyanné.
Cette enquête fait suite à la plainte déposée le
22 avril par Greenpeace France, Anticor et La
Sphinx – une association qui rassemble plusieurs
dizaines d’anciens élèves de la prestigieuse école
d’ingénieurs – auprès du parquet de Paris. Sollicité, le
PNF a confirmé l’information.
Les plaignants reprochent à
M. Pouyanné d’avoir profité de son statut de membre du
conseil d’administration de l’X, à compter de
septembre 2018, pour influencer, au nom de
TotalEnergies, la décision finale de valider le projet,
le 25 juin 2020. « On parle du PDG
de l’une des plus grosses multinationales au monde et
de faits susceptibles de constituer une prise illégale
d’intérêts au sein de la plus grande école d’élite
française, qui est sous tutelle du ministère des
armées, rappelle Clara Gonzales, juriste à
Greenpeace France. Au vu des enjeux, cela fait sens
que cette enquête soit confiée au PNF. »
Le délit pénal de prise
illégale d’intérêts, passible de cinq ans de prison
et de 500 000 euros d’amende, consiste, pour
une personne dépositaire de l’autorité publique, à
prendre, recevoir ou conserver un intérêt dans une
entreprise ou une opération qu’elle a surveillée ou
administrée. « Patrick Pouyanné a un pied dans
deux maisons, il était donc de son devoir
d’identifier les risques de conflits d’intérêts en
tant qu’administrateur d’établissement public,
estime Clara Gonzales. Ces risques auraient aussi
dû être évalués par le conseil d’administration, censé
garantir l’indépendance de l’enseignement
public. »
Influence grandissante sur
l’école
Le projet de bâtiment de
TotalEnergies est contesté
depuis novembre 2019 par des étudiants de l’Ecole
polytechnique, soumis à un devoir de réserve en
raison de leur statut militaire. Il prévoit la
construction dans le cœur historique du campus, à
proximité des logements et des salles de cours, d’un
centre d’innovation et de recherche dans le domaine des
énergies bas carbone de 10 000 m², où
travailleront quelque 250 chercheurs. En
juin 2020, le conseil d’administration de
Polytechnique a déplacé de 200 mètres le lieu
d’implantation du bâtiment, ce qui n’a pas suffi à
satisfaire les opposants au projet. Ceux-ci ne sont pas
défavorables au principe même d’un partenariat avec le
groupe pétrolier et gazier, mais ils réclament que le
centre soit construit à l’extérieur du campus, comme
ceux des autres entreprises partenaires de l’école
publique. Ils s’inquiètent, sur le fond, de l’influence
grandissante de TotalEnergies sur l’X.
Pour Patrick Pouyanné
toutefois, cette polémique est « absurde ».
« Je me moque de construire à Saclay un
bâtiment aux couleurs de TotalEnergies, a-t-il
assuré lors d’un entretien à La Tribune le
13 septembre. Notre objectif, c’est de
profiter de l’écosystème scientifique rassemblé sur le
plateau de Saclay (et pas seulement Polytechnique)
pour accélérer notre recherche et développement dans
les nouvelles énergies. (…) Ce n’est
franchement pas notre objectif principal de construire
un bâtiment, mais nous restons fermes sur le fait
d’installer 200 ou 300 chercheurs de
TotalEnergies dans l’écosystème à Saclay. »
Matthieu Lequesne,
porte-parole de La Sphinx, juge ces propos « choquants ».
« Cela fait dix-huit mois que des élèves,
des anciens élèves et des professeurs réclament
exactement cela : que TotalEnergies implante son
bâtiment plus loin de Polytechnique, n’importe où sur
le plateau de Saclay, pour permettre une collaboration
sereine mais pas exclusive, explique-t-il. Mais
les faits disent l’inverse de ce que M. Pouyanné
raconte publiquement. » Selon la plainte
déposée par Greenpeace, Anticor et La Sphinx, lorsque le
conseil d’administration a étudié la possibilité
d’emplacements alternatifs le 20 avril 2020,
Patrick Pouyanné a pris la parole pour expliquer que si
le bâtiment était éloigné du campus de Polytechnique,
cela n’intéresserait pas TotalEnergies.
« Je me suis retiré de
la réunion »
Contacté par Le Monde,
Patrick Pouyanné déclare qu’« à aucun moment il
n’a existé un mélange des genres ». Le
dirigeant de la multinationale met en avant la
chronologie : il n’a été nommé administrateur de
Polytechnique qu’en septembre 2018, « en
tant que personnalité qualifiée », donc
trois mois après la décision de l’école
d’accueillir le projet de centre de recherche. Depuis,
« je me suis toujours retiré des débats et me
suis abstenu de toute participation aux prises de
décision au sein du conseil d’administration de l’X» relatives à ce dossier, assure-t-il.
« Je ne suis intervenu qu’une seule fois en ma
qualité de PDG de TotalEnergies pour donner le point
de vue de TotalEnergies sur le projet, à la demande du
président du conseil, puis me suis retiré de la
réunion. »
Estimant « incroyable
de prétendre qu’[il aurait] été en situation
de conflit d’intérêts et encore plus qu’une infraction
pénale aurait été commise »,
M. Pouyanné ajoute : « D’ailleurs,
la situation est d’autant plus absurde que le projet
immobilier de centre de recherche est maintenant situé
en dehors des terrains de l’X (…) et qu’il
ne donnera donc lieu à aucun accord d’aucune sorte
entre TotalEnergies et l’Ecole polytechnique. »
Dans les faits, si le projet est désormais techniquement
prévu sur un terrain appartenant à l’Etablissement
public d’aménagement Paris-Saclay, il reste pourtant
implanté dans l’enceinte du campus.
Depuis le lancement de
l’offensive judiciaire, un collectif de près de 500 anciens
élèves de Polytechnique a réclamé dans une tribune
au Monde, parue le 21 mai, la démission
de Patrick Pouyanné de son siège au conseil
d’administration de l’X ainsi que l’abandon du projet de
centre de recherche. Ils appellent également le
ministère des armées à se saisir de la question de la
gouvernance de l’institution. « Aujourd’hui,
la demande d’exemplarité de la part de la haute
administration publique est forte, écrivent ces
jeunes diplômés. Or, les dernières révélations sur
la gouvernance de l’école ne sont pas à la hauteur de
ces attentes légitimes. » Le 1er juin,
350 élèves ingénieurs se sont également regroupés
dans la cour Vaneau de l’Ecole polytechnique pour former
un « X » géant, afin de montrer une nouvelle
fois leur hostilité au projet.
Le chantier de construction
du nouveau bâtiment, qui aurait dû démarrer à la
mi-juillet, n’a lui pas encore débuté.
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