Le PDG de Total, Patrick
Pouyanné, visé par une plainte pour prise illégale
d’intérêts
Greenpeace France, Anticor et
l’association La Sphinx ont lancé une offensive
judiciaire contre l’implantation d’un centre de
recherche et d’innovation du géant pétrolier au cœur
du campus de Polytechnique.
Publié le 29
avril 2021 à 06h58
Mis à jour le 29 avril 2021 à 23h14
Temps de
Deux associations de
référence dans leur domaine, l’écologie pour Greenpeace
et la lutte anticorruption pour Anticor, lancent une
offensive judiciaire contre l’implantation d’un centre
de recherche et d’innovation du géant pétrolier Total au
cœur du campus de Polytechnique, installé sur le plateau
de Saclay (Essonne). Selon les informations du Monde,
Greenpeace France, Anticor et l’association La Sphinx,
qui rassemble plusieurs dizaines d’anciens élèves de la
prestigieuse école d’ingénieurs, ont porté plainte pour
prise illégale d’intérêts, le 22 avril, auprès du
parquet de Paris, contre le PDG de Total, Patrick
Pouyanné, et contre X.
Les plaignants reprochent à
M. Pouyanné d’avoir profité de sa position de
membre du conseil d’administration de Polytechnique, à
compter de septembre 2018, pour influencer, au nom
de Total, la décision finale de valider le projet
d’implantation, le 25 juin 2020. Un mélange de
genres, dénoncent-ils, entre l’intérêt de l’institution
publique et l’intérêt privé du groupe pétrolier. La
prise illégale d’intérêts, délit pénal passible de
cinq ans de prison et de 500 000 euros
d’amende, consiste, pour une personne dépositaire de
l’autorité publique, à prendre, recevoir ou conserver un
intérêt dans une entreprise ou une opération qu’elle a
surveillée ou administrée.
« Entrisme des
intérêts privés »
« Nous ne pouvons
plus laisser passer l’entrisme des intérêts privés,
surtout de l’industrie extractive, dans nos
institutions publiques, fait valoir Clara
Gonzales, juriste à Greenpeace. Nous avons dénoncé
le conflit d’intérêts dès mars 2020, rien n’a été
fait et, désormais, l’affaire est entre les mains du
parquet de Paris. » Pour Elise Van Beneden,
présidente d’Anticor, c’est bien « la
neutralité de l’enseignement public supérieur » qui
est en jeu. « Les personnes chargées d’une
mission de service public doivent avoir conscience de
ce que cela implique, poursuit-elle, ils
doivent protéger ce service public d’interférences du
privé, or on constate dans ce dossier une volonté de
capture par le privé de la décision publique. »
Greenpeace, Anticor et La
Sphinx s’interrogent notamment sur le processus et
l’agenda de validation du projet. Entre le moment où
M. Pouyanné a pris ses fonctions d’administrateur
et la décision finale, aucune procédure de prévention du
risque de conflits d’intérêts n’a été mise en place,
déplorent-ils. La loi sur la transparence de la vie
publique de 2013 a pourtant fixé un cadre légal clair
pour de tels déports. Selon eux, un fait notamment pose
problème : lors du conseil d’administration du
20 avril 2020, M. Pouyanné ne quitte pas
la séance mais plaide le choix du site privilégié par
son groupe, faisant peser sur les administrateurs la
menace de l’abandon du projet par Total si l’emplacement
ne lui convenait pas.
Sollicité, le groupe Total
réfute les accusations le visant. « Patrick
Pouyanné s’est toujours récusé et n’a jamais pris part
aux décisions du conseil d’administration de l’X
concernant Total, affirme un porte-parole. Par
ailleurs, le projet de centre d’innovation et de
recherche a été déplacé. » « En
avril 2020, M. Pouyanné est intervenu en
tant que PDG de Total à la demande du président du
conseil d’administration afin de présenter le projet
et de répondre aux questions, affirme aussi un
porte-parole de Polytechnique. Il n’a participé à
aucun des débats et délibérations. »
Projet contesté par des
étudiants depuis fin 2019
Sur le campus de l’X,
l’inquiétude perdure alors que les travaux de
construction du nouveau bâtiment doivent débuter en
juillet. Si sa localisation initiale a bien été
modifiée, elle ne l’a été que de 250 mètres. « Cela
fait maintenant plus d’un an et demi que l’on se
mobilise et que l’on alerte sans être entendus »,
constate Thomas Vezin, secrétaire général de La
Sphinx.
Manifestation, publication
de tribunes et d’articles… La contestation du projet par
des étudiants a démarré fin 2019 – sous statut
militaire, les élèves de l’X sont soumis à un devoir de
réserve. Ils critiquent le fait que le bâtiment de Total
soit installé au cœur du campus, entre les salles de
cours et les logements, et non à l’extérieur, comme les
autres entreprises partenaires de l’école. « Imaginerait-on
un centre de R&D [recherche et développement]
de Monsanto sur le campus d’AgroParisTech, de
British Tobacco dans une faculté de médecine ou de
Nexter à l’Ecole spéciale militaire de
Saint-Cyr ? », écrivent-ils.
En outre, ajouté aux
partenariats et liens déjà existants entre Polytechnique
et Total, ce projet renforcerait l’influence du
pétrolier. « Nous ne sommes pas contre le
principe de partenariats avec des entreprises, mais
nous souhaitons que l’indépendance de l’école soit
garantie, insiste Matthieu Lequesne, porte-parole
de La Sphinx. Ce projet est très différent des
autres partenariats, établis pour quelques années et
renégociables. Avec ce bâtiment, Total s’implante pour
une durée indéterminée. »
Les étudiants et les ONG
ont été rejoints dans leur mobilisation par une vingtaine d’anciens élèves de l’X et
par leurs professeurs, qui se sont inquiétés dans un avis critique
de la « place centrale » accordée « à
un seul acteur industriel, à la vocation très
marquée ». « L’implantation de ce
centre de Total se fait sans aucune contrepartie
visible pour l’X », complète Thomas Vezin.
Le groupe, quant à lui, n’a jamais caché son « intérêt
indéniable » à disposer d’un centre de
recherche situé « au cœur d’un écosystème
mondial d’innovation », qui va « concentrer
25 % de la recherche scientifique
française ».
Anne
Michel et Perrine
Mouterde
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