Derrière la contestation du partenariat entre Polytechnique et LVMH, une nouvelle génération d’étudiants

La possible implantation d’un centre de recherche de LVMH au sein du campus de l’Ecole polytechnique a mis en colère des élèves. L’urgence climatique oblige, selon eux, à des bouleversements en profondeur et à un meilleur choix des partenaires, notamment.

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Publié le 29 septembre 2022 à 08h00 Mis à jour le 29 septembre 2022 à 18h07

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Dans le campus de l’Ecole polytechnique.

Analyse. Début octobre, le conseil d’administration de l’Ecole polytechnique rendra une décision attendue. L’école approuvera-t-elle la vente d’une parcelle de son campus de Palaiseau (Essonne) à LVMH, qui souhaite y construire un centre de recherche de 22 000 mètres carrés ? Il ne s’agit pas seulement d’un bâtiment : le géant du luxe prévoit de signer un partenariat autour du luxe « durable et digital », pour 10 millions d’euros sur cinq ans – ce serait ainsi le plus gros partenaire de l’école.

Concrètement, LVMH va financer des recherches autour de certains thèmes définis en commun, et instaurer une proximité avec les élèves, qui passe par des interventions dans des cours, des stages, des cas d’étude.

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En ce mois de septembre, c’est l’ébullition à Polytechnique. Une tribune, parue dans Le Monde intitulée « Nous, polytechniciennes et polytechniciens, ne voulons pas de LVMH sur notre campus », a recueilli 70 signatures parmi les promotions récentes. Deux jours plus tard, un ancien directeur de l’X signait, dans Le Journal du dimanche, un texte en faveur du projet, arguant que, « sans ces ressources financières, l’excellence est mise en péril ». Un collectif d’étudiants a contre-attaqué en créant un site sur lequel ils démontent les arguments en faveur du projet.

Le 22 septembre, le conseil académique de l’Institut polytechnique de Paris (qui regroupe cinq écoles du pôle Paris-Saclay, dont l’Ecole polytechnique) a adopté un avis témoignant d’une certaine circonspection sur le partenariat, regrettant son imprécision et sa précipitation.

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Il y a dix ans, tout cela serait probablement passé comme une lettre à la poste. Aujourd’hui, dans un contexte de crises climatique et énergétique, d’aggravation des inégalités et d’interrogations sur les responsabilités des grands groupes, les grilles de lecture ont changé. Dans les grandes écoles, une nouvelle génération d’étudiants et de jeunes anciens, appuyée par des chercheurs et doctorants de plus en plus conscients de l’urgence écologique, se montre plus engagée sur les sujets environnementaux et sociétaux. On assiste ainsi à une nouvelle forme de politisation chez ces scientifiques autrefois peu prompts à s’exprimer sur ces sujets.

« Changer le système »

Avant l’été, les discours d’étudiants appelant à « changer le système » lors des remises de diplômes ont symbolisé ces changements. Les mouvements qui agitent l’X rappellent surtout que, pendant plusieurs mois, en 2021, des dizaines d’élèves de cette école militaire se sont mobilisés contre l’implantation d’un centre de recherche TotalEnergies, là même où LVMH souhaite élever son bâtiment. L’entreprise a dû retirer son projet, et une enquête préliminaire visant son PDG, Patrick Pouyanné, membre du conseil d’administration de l’école, a été ouverte en mai 2021 par le Parquet national financier pour d’éventuels faits de prise illégale d’intérêts.

A Sciences Po, des étudiants ont milité pour l’annulation du partenariat entre l’école et TotalEnergies : celui-ci n’a pas été reconduit. A l’université Paris Sciences et lettres, une bataille juridique a été engagée par des étudiants pour amener BNP, financeur d’une licence sur la transition écologique, à révéler le montant de son don, et dénoncer une opération de « greenwashing » de la banque.

Le projet de LVMH à Polytechnique avance donc dans un contexte difficile. Pourtant, les chercheurs, comme les grandes écoles, ont besoin de partenariats avec l’industrie, ce que les opposants ne remettent pas en question. Selon eux, il faudrait mieux sélectionner les partenaires, notamment avec des entreprises qui contribuent plus directement au progrès social ou à la transition écologique, et qui font davantage de recherche de pointe. Bref, ne pas seulement « prendre l’argent où il est ». Il faut dire que certains thèmes de recherche mentionnés dans les PowerPoint de LVMH ont de quoi déconcerter : « recherche d’une sensation de toucher de la soie pour un packaging », « développer des vêtements connectés »

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En outre, Polytechnique, n’est pas une école comme les autres. Financée par l’Etat, elle mène au sommet du pouvoir : la formation et les influences que reçoivent ces futures élites dirigeantes sont l’affaire de tous. Un bâtiment avec 300 chercheurs sur un campus, c’est une proximité qui « infuse » sur un établissement. Enfin, n’oublions pas que l’X rémunère ses élèves (900 euros par mois) en échange d’une obligation de travailler au moins dix ans dans le service public. D’où cette question : la mission d’une école formant des cadres dirigeants au service de l’intérêt général est-elle de signer un partenariat de cette envergure avec une multinationale du luxe, qui développe des produits pour une élite ?

Polytechnique est prise entre deux feux : d’un côté, elle veut s’inscrire dans la compétition entre établissements, améliorer sa visibilité internationale. Ce qui nécessite de renforcer sa recherche, critère déterminant dans les classements. De l’autre, ses moyens sont limités. Sa fragilité financière et ses difficultés de gestion ont été soulignées par la Cour des comptes en 2020.

Face à elle, la puissante LVMH a plus que jamais besoin d’innover et d’attirer des jeunes diplômés, alors que les nouvelles générations sont moins intéressées que jadis par les grands groupes. Bernard Arnault, ancien de l’X et actuel PDG de LVMH, ne s’est-il pas montré généreux envers son alma mater ? En ce moment, sa firme rénove à grands frais, en plein Paris, l’ex-siège de l’association des anciens de l’X (dont le secrétaire général, Jean-Baptiste Voisin, est directeur de la stratégie de LVMH). Dans ce contexte de lente paupérisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, tout projet partenarial est susceptible de passer pour un pacte faustien.

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