Derrière la contestation du
partenariat entre Polytechnique et LVMH, une nouvelle
génération d’étudiants
La possible implantation d’un
centre de recherche de LVMH au sein du campus de
l’Ecole polytechnique a mis en colère des élèves.
L’urgence climatique oblige, selon eux, à des
bouleversements en profondeur et à un meilleur choix
des partenaires, notamment.
Analyse.
Début octobre, le conseil d’administration de l’Ecole
polytechnique rendra une décision attendue. L’école
approuvera-t-elle la vente d’une parcelle de son campus
de Palaiseau (Essonne) à LVMH, qui souhaite y construire
un centre de recherche de 22 000 mètres
carrés ? Il ne s’agit pas seulement d’un
bâtiment : le géant du luxe prévoit de signer un
partenariat autour du luxe « durable et
digital », pour 10 millions d’euros sur
cinq ans – ce serait ainsi le plus gros partenaire
de l’école.
Concrètement, LVMH va
financer des recherches autour de certains thèmes
définis en commun, et instaurer une proximité avec les
élèves, qui passe par des interventions dans des cours,
des stages, des cas d’étude.
En ce mois de septembre,
c’est l’ébullition à Polytechnique. Une tribune, parue dans Le Monde intitulée
« Nous, polytechniciennes et polytechniciens, ne
voulons pas de LVMH sur notre campus », a recueilli
70 signatures parmi les promotions récentes. Deux jours
plus tard, un ancien directeur de l’X signait, dans Le Journal
du dimanche, un texte en faveur du projet, arguant que,
« sans ces ressources financières, l’excellence
est mise en péril ». Un collectif
d’étudiants a contre-attaqué en créant un site sur lequel ils démontent les
arguments en faveur du projet.
Le 22 septembre, le
conseil académique de l’Institut polytechnique de Paris
(qui regroupe cinq écoles du pôle Paris-Saclay, dont
l’Ecole polytechnique) a adopté un avis témoignant d’une
certaine circonspection sur le partenariat, regrettant
son imprécision et sa précipitation.
Il y a dix ans, tout cela
serait probablement passé comme une lettre à la
poste. Aujourd’hui, dans un contexte de crises
climatique et énergétique, d’aggravation des inégalités
et d’interrogations sur les responsabilités des grands
groupes, les grilles de lecture ont changé. Dans les
grandes écoles, une nouvelle génération d’étudiants et
de jeunes anciens, appuyée par des chercheurs et
doctorants de plus en plus conscients de l’urgence
écologique, se montre plus engagée sur les sujets
environnementaux et sociétaux. On assiste ainsi à une
nouvelle forme de politisation chez ces scientifiques
autrefois peu prompts à s’exprimer sur ces sujets.
« Changer le
système »
Avant l’été, les discours
d’étudiants appelant à « changer le
système » lors des remises de diplômes ont
symbolisé ces changements. Les mouvements qui agitent
l’X rappellent surtout que, pendant plusieurs mois,
en 2021, des dizaines d’élèves de cette école
militaire se sont mobilisés contre l’implantation d’un
centre de recherche TotalEnergies, là même où LVMH
souhaite élever son bâtiment. L’entreprise a
dû retirer son projet, et une enquête
préliminaire visant son PDG, Patrick Pouyanné, membre
du conseil d’administration de l’école, a été ouverte
en mai 2021 par le Parquet national financier
pour d’éventuels faits de prise illégale d’intérêts.
A Sciences Po, des
étudiants ont milité pour l’annulation du partenariat
entre l’école et TotalEnergies : celui-ci n’a pas
été reconduit. A l’université Paris Sciences et lettres,
une bataille juridique a été engagée par des étudiants
pour amener BNP, financeur d’une licence sur la
transition écologique, à révéler le montant de son don,
et dénoncer une opération de « greenwashing »
de la banque.
Le projet de LVMH à
Polytechnique avance donc dans un contexte difficile.
Pourtant, les chercheurs, comme les grandes écoles, ont
besoin de partenariats avec l’industrie, ce que les
opposants ne remettent pas en question. Selon eux, il
faudrait mieux sélectionner les partenaires, notamment
avec des entreprises qui contribuent plus directement au
progrès social ou à la transition écologique, et qui
font davantage de recherche de pointe. Bref, ne pas
seulement « prendre l’argent où il est ».
Il faut dire que certains thèmes de recherche mentionnés
dans les PowerPoint de LVMH ont de quoi
déconcerter : « recherche d’une sensation
de toucher de la soie pour un packaging », « développer
des vêtements connectés »…
En outre, Polytechnique,
n’est pas une école comme les autres. Financée par
l’Etat, elle mène au sommet du pouvoir : la
formation et les influences que reçoivent ces futures
élites dirigeantes sont l’affaire de tous. Un bâtiment
avec 300 chercheurs sur un campus, c’est une proximité
qui « infuse » sur un établissement. Enfin,
n’oublions pas que l’X rémunère ses élèves
(900 euros par mois) en échange d’une obligation de
travailler au moins dix ans dans le service public. D’où
cette question : la mission d’une école formant des
cadres dirigeants au service de l’intérêt général
est-elle de signer un partenariat de cette envergure
avec une multinationale du luxe, qui développe des
produits pour une élite ?
Polytechnique est prise
entre deux feux : d’un côté, elle veut s’inscrire
dans la compétition entre établissements, améliorer sa
visibilité internationale. Ce qui nécessite de renforcer
sa recherche, critère déterminant dans les classements.
De l’autre, ses moyens sont limités. Sa fragilité
financière et ses difficultés de gestion ont été
soulignées par la Cour des comptes en 2020.
Face à elle, la puissante
LVMH a plus que jamais besoin d’innover et d’attirer des
jeunes diplômés, alors que les nouvelles générations
sont moins intéressées que jadis par les grands groupes.
Bernard Arnault, ancien de l’X et actuel PDG de LVMH, ne
s’est-il pas montré généreux envers son alma
mater ? En ce moment, sa firme rénove à grands
frais, en plein Paris, l’ex-siège de l’association des
anciens de l’X (dont le secrétaire général,
Jean-Baptiste Voisin, est directeur de la stratégie de
LVMH). Dans ce contexte de lente paupérisation de
l’enseignement supérieur et de la recherche, tout projet
partenarial est susceptible de passer pour un pacte
faustien.
Jessica
Gourdon
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