Un texte de Michel Laurent

Je viens de découvrir le site de la 53 et d’y lire la vie d’un certain nombre de nos petits camarades ; celle que j’ai vécue n’est pas vraiment la même et je pense qu’elle vaut d’être racontée.

J’aurais dû faire partie de la 52 ; j’avais un bon rang avant les oraux mais l’examinateur d’allemand m’a trouvé très nul et m’a rejeté au-delà des barrières ; il s’en est presque excusé l’année suivante où j’ai conservé mon rang ; donc 53 ! et chef de casert, là-bas, tout au bout...

Mon début à l’X a été marqué par l’affaire Saint-Louis ; j’ai participé à cette expédition sans connaître le moins du monde les intentions des organisateurs et j’ai accepté de faire partie des punis, tout simplement parce que j’avais accepté de participer ; trois semaines de forteresse à l’École Militaire, avec Perreau et Ménasché, qui nous a suralimenté en chocolats suisses ; c’est assez pour décrocher ; je dois bien dire que la détention était de pure forme, mais c’était une coupure avec des conséquences pour la suite ; ce d’autant plus que l’enseignement prodigué ne m’a pas vraiment séduit. Ne croyez pas que nous ayons eu la moindre reconnaissance d’avoir encaissé ce fardeau ; loin s’en faut !

J’ai fait tout juste les efforts pour ne pas avoir d’ennuis et suis sorti vers la fin de promo ; avec le grade de sous-lieutenant, les écoles de l’armée de l’Air : Salon de Provence puis Aix-les-Bains. A l’issue de ces rapides stages, j’ai accepté de rester à la base d’Aix ; j’étais marié, j’avais un appartement à Chambéry.

Embrigadé dans la base d’Aix, division enseignement ; pourquoi faire ? me voilà désigné pour faire le cours de radio, d’ordinaire tenu par un Supelec ; avec trois mois pour le préparer. Trois mois pour préparer un cours magistral ; mais, comme je trouvais ce cours trop théorique et aride, j’y ai ajouté des travaux pratiques, élaborés et montés avec les moyens du bord, ce qui restait de matériels périmés ou hors d’usage.

Fort bien ; mais il nous vient un certain nombre d’EOR et d’officiers ; ne pourriez-vous remplir le poste d’instructeur militaire ? la belle affaire, nous étions en pleine guerre d’Algérie ; Je l’ai fait sous forme de réunions-discussions : je donnais un thème à un des participants et après son exposé, nous discutions ; j’ai eu jusqu’à une centaine de personnes à la fois, d’origines et de formations diverses ; avec, pour chacun, la possibilité de s’exprimer, enfin ; et, pour chacun, de se faire dire ce qu’était sa responsabilité.

Fort bien ; il nous vient deux compagnies de rappelés ; ne pourriez-vous vous en occuper ? et me voilà avec deux compagnies ; deux capitaines, un chargé de la station de ski de l’Armée de l’Air, l’autre professeur à l’école des pupilles ; aussitôt arrivés, aussitôt repartis ; et des sous-lieutenants en pleine période d’examen ; aussitôt arrivés, aussitôt repartis ; avec le petit effectif des sous-off de l’unité de garde, qui, heureusement, se sont montrés actifs et vigilants.

Deux compagnies, cela fait beaucoup de monde ; j’ai réquisitionné les moyens et sitôt une compagnie arrivée, je l’ai expédiée dans la nature ; à charge pour elle de monter un simulacre d’embuscade pour accueillir la deuxième compagnie.

Je n’en reviens toujours pas ; comment ai-je pu faire tout cela, de ma propre initiative ; comment ai-je pu simuler une attaque de la base en pleine nuit… J’ai fait ce que j’ai voulu, sous ma propre responsabilité ; et les deux compagnies sont parties pour l’Algérie ; Aix était la seule base en France où il n’y a pas eu de manifestation.

Un service militaire actif, plutôt joyeux. Je suis rentré à Nord-Aviation ; j’ai demandé à voir du concret et on m’a envoyé à Bourges… pension de famille, puis appartement dans l’Hôtel particulier d’un noble désargenté ; stage dans tous les services…  mais, au bout d’un an, toujours pas de travail à effectuer ; j’en suis ressorti pour rentrer à la SAMM, qui vendait de l’Hydraulique, en particulier pour l’Armement, et d’autres pièces, pour le même genre de client ; je n’ai pas été très bien reçu par le Directeur technique, qui craignait pour ses fonctions et j’ai abandonné pour rentrer chez Decauville, une boîte vieille ; j’étais égaré, dans ce maquis d’entreprises où la méfiance était beaucoup plus importante que la volonté de progresser !

Je suis rentré à la SOM, département hydraulique ; sans doute au vu de ma petite expérience dans ce domaine ; chargé de la vente de matériels, j’ai vite constaté qu’il était invendable, périmé, dépassé, hors de prix ; mais qu’il y avait une demande pour des entités fonctionnelles ; j’ai développé un chiffre d’affaires dans ce domaine, monté un petit bureau d’études ; en contact avec toutes les branches de l’industrie ; passionnant, épuisant, submergeant !

J’en suis sorti parce que ma vie n’était pas compatible avec l’éthique de la maison : il était de bon ton d’assister à la messe anniversaire du décès du leader du groupe et moi, j’avais deux garçons, j’étais divorcé et en concubinage avec Marie-Céline, que je n’ai pas quittée depuis… Incompatible ! devenu promoteur des servo-mécanismes électro-hydrauliques, en avance sur ce qui se pratiquait ailleurs, je pensais trouver un concurrent intéressé ; sale coup pour l’entreprise, mon principal adjoint, qui avait été embauché pour prendre ma suite, a démissionné immédiatement quand il a appris que je partais.

Un peu plus tard, j’ai aussi abandonné l’enseignement que je pratiquais dans ce domaine depuis de nombreuses années, et que j’avais développé sous une forme originale. Après réflexion, j’ai sans doute bien fait de quitter ce groupe, où j’avais constaté des aberrations désastreuses et qui se trouvera en complète perte de vitesse quelque temps plus tard ; encore fallait-il que je trouve une nouvelle situation…

Embauché par un cabinet-conseil, je me suis trouvé parachuté comme Directeur Général d’une entreprise de constructions métalliques, 200 personnes, située dans le Sud-ouest, ATEMCO ; après l’avoir ouvert dans l’illégalité, heureusement provisoire, en reprise d’une entreprise moribonde et désastreuse sous de multiples aspects, j’ai dû faire face à l’arrêt des commandes d’ALGECO, qui représentaient pas loin de l’intégralité de l’activité ; faire face seul ; pas d’aide externe de gens non-concernés, pas d’aide interne de gens complètement démotivés ; avec un peu de chance et beaucoup de volonté et de travail, j’ai réussi à surmonter la difficulté et, ce faisant, j’ai assuré dix ans d’existence à l’entreprise ; cette reprise heureuse a suscité bien des envies et j’ai passé la main à d’autres mains qui se sont chargées de démolir cette belle construction.

Et j’ai été envoyé dans une entreprise de confection, pour faire le même boulot…  un millier de personnes, avec le fils de famille complètement dépassé par un entourage indispensable et calamiteux ; je n’ai pas trouvé la voie du renouveau…

Je croyais que mon succès dans la construction métallique pouvait m’ouvrir d’autres voies ; mais, pas du tout, on préférait des gens au profil plus classique ; j’ai alors décidé de monter ma propre entreprise de conseil, d’intervention et d’accompagnement, GESTAC ; et j’ai développé des activités autres :

J’ai enseigné dans des écoles d’ingénieurs ; j’ai enseigné ce qu’on avait omis de m’apprendre et qui fait la force, la valeur de cette fonction : la gestion prévisionnelle, la réponse dynamique des systèmes, la sécurité ; j’ai enseigné du 100% utile à chacun…  et j’ai suscité des enthousiasmes chez mes élèves, heureux de se rendre compte comment leurs cours théoriques pouvaient servir.

Je suis devenu expert judiciaire ; une fonction bien peu payée par rapport aux efforts qu’elle me demandait pour être à la hauteur des missions qui m’incombaient ; mais une ouverture sur le monde, plus aigüe ; avec le regret que les dirigeants d’entreprises ne s’intéressent pas plus aux analyses de l’expertise, analyses des maladies des entreprises ; mais un travail passionnant ( voir pages 21 à 24 du n°610 décembre 2005 de la Jaune et la Rouge).

Et Gestac a subsisté jusqu’à ma retraite ; l’enseignement et l’expertise, au-delà ; je n’ai jamais très bien gagné ma vie, j’ai eu une vie professionnelle un peu aventureuse, mais intéressante et passionnante ; j’aurais, sans aucun doute, pu faire mieux en étant plus conciliant.

Je vais faire un ajout à ce cursus professionnel avec le cheval : ma fille est allée faire du cheval dans son cycle scolaire ; elle voulait continuer, mais nous avons trouvé ce cadre très minable ; à côté de chez nous, un écuyer roumain dans la dèche a bien voulu lui donner des leçons ; c’était catastrophique au départ, mais elle a vite progressé ; jusqu’à monter un cheval de haute école ayant de légères séquelles de fourbures ; à douze ans, elle montait en haute école, passage, piaffé, changements de pied…  et nous voilà partis pour les examens, et pour les concours ; nous avons acheté une camionnette-van et avons couru les concours dans une bonne partie du territoire français ; nous avons acheté un cheval, puis un autre ; sans succès. Jusqu’au jour où nous avons pris contact avec l’entraîneur national de dressage, intéressé pour monter une équipe junior ; il a vite jugé que nos chevaux ne faisaient pas le poids… et nous a fait acheter un cheval qui correspondait mieux aux ambitions mais qui s’est avéré souffrir de problèmes pulmonaires dont nous n’avons vu la fin que tardivement et par des voies… non officielles ! nous avons loué un appartement à Saumur et nous y passions beaucoup de temps ; notre fille a concouru partout en France et un peu à l’étranger, a été trouvée meilleure des français par les anglais, mais pas par les juges français ; ce n’est quand même pas si mal, pour une incursion dans un monde de professionnels ! notre aventure équine s’est arrêtée avec la mise à la retraite de nos chevaux, chez nous, et les occupations professionnelles de notre fille, qui dirige, actuellement, le bureau d’études de prêt à porter d’une grande maison de couture

Je n’ai pas tout raconté sur le principal et encore moins sur les multiples anecdotes qui ont peuplé mon existence ; j’ai quelquefois été brillant et souvent maladroit ; j’ai acquis une expérience hors du commun et suis resté modeste, ce qui n’est pas paradoxal ; j’aurais pu apporter plus, encore eut-il fallu que le monde ait été plus soucieux de son devenir que de maintenir en place des dirigeants insuffisants.

Merci à tous ceux qui auront eu le courage de me lire ; en espérant les avoir surpris et amusés quelques instants ; mais, que personne ne s’y trompe, si le ton est enjoué, la vérité c’est que tout ceci a été du travail ; encore et toujours du travail !

Michel LAURENT X53 10/2018