LA THEORIE DE L'EVOLUTION ECONOMIQUE CENT ANS APRES

 

Le groupe X Sursaut a organisé lundi 10 décembre son troisième colloque sur le thème : Comment (re)faire de la France un pays entreprenant et innovant ? Placé sous le signe de Schumpeter, à l'occasion du centenaire de sa Théorie de l'évolution économique, ce colloque a été ouvert par Schumpeter lui-même.

Il faut reconnaître dans l'Economie quatre éléments : le travail, le capital, la matière première et l'innovation. Mais, comme Aristote avec l'Ether, et plus récemment comme Luc Besson avec Leeloo, les Français croient à la prééminence d'un cinquième élément, censé résoudre tous les conflits d'allocation des quatre autres : l'Etat aux poches profondes, susceptible de venir à bout de tout problème en sortant son carnet de chèques, comme le montre le projet de nationalisation d'Arcelor Mittal, aussitôt plébiscité par une forte majorité de Français de tous bords mais heureusement rapidement remisé au placard des fausses bonnes idées.

Car les poches sont malheureusement vides et les chèques sans provision, comme l'a bien dit un ancien premier ministre qui déplorait que "l'Etat ne peut pas tout" et un autre qui, plus récemment, se disait à la tête d'un Etat en faillite.

S'il fallait nationaliser quelque chose, ce serait plutôt l'Etat, comme le proposait un groupe de hauts fonctionnaires en 1968  sous le titre de "Pour nationaliser l'Etat"! Le diagnostic qu'ils portaient à l'époque reste tout à fait d'actualité : "La Nation française est mécontente de son Etat. Il lui paraît à la fois boulimique et indécis, obèse et faible". Le nombre de fonctionnaires a doublé depuis lors ! Pour dégraisser ce super-mammouth, pourquoi la France ne ferait-elle pas appel à Mario Monti, qui sera bientôt disponible, lui qui vient de recevoir le Grand Prix de l'Economie décerné par les Echos, Radio Classique et Freshfields, pour le remarquable redressement de l'économie italienne en cours sous son égide.

Si la France pourrait mériter un Grand Prix, ce ne serait pas celui de l'Economie mais plutôt celui de l'Horreur économique, avec le retour de la retraite à 60 ans pour certaines catégories de Français, que l'on peut qualifier sans exagération de déserteurs de la guerre économique.

Croyant ainsi laisser du travail aux autres, comme s'il s'agissait d'un gâteau à partager, les Français travaillent beaucoup moins que la plupart de leurs voisins. Moody's, Standard & Poors, le FMI, la Cour des comptes et l'OCDE ont tour à tour souligné la nécessité de réduire les charges sociales et de faire des réformes structurelles pour réduire la rigidité du marché du travail.

Pour ceux qui douteraient encore de cette nécessité, l'abandon par Arkema de son projet d'investissement à Pierre-Bénite, en raison de l'intransigeance de certains salariés, constitue la preuve par a+b de ce que certains économistes appellent la "préférence française pour le chômage".

En matière d'emploi, une croyance largement répandue, même parmi certains économistes orthodoxes, ayant sans doute mal compris les conditions d'application des idées de Keynes dans des économies ouvertes, est que tous les emplois se valent.

L'évolution économique suppose que des secteurs d'activité obsolètes disparaissent au profit de secteurs d'activité d'avenir. Alors, ne vaut-il pas mieux sécuriser les parcours professionnels plutôt que favoriser à grands frais des emplois  peu productifs dans les secteurs abrités de la concurrence internationale, comme les "services à la personne" ou forcer des employeurs à conserver du personnel dont ils n'ont plus l'usage, avec l'effet pervers de les décourager de recruter lorsqu'ils en ont besoin ?

Dans une économie où le facteur rare est le travail qualifié, faut-il clouer au pilori les employeurs qui libèrent des effectifs en surnombre, en raison de la réduction de leur activité ou de l'accroissement de leur productivité ? Faut-il faire payer, comme certains économistes bien intentionnés le proposent, des cotisations sociales plus élevées aux entreprises qui utilisent des CDD ou qui réduisent leurs effectifs ? Ne faudrait-il pas au contraire les remercier de permettre aux secteurs en expansion de disposer d'une main d'œuvre de plus en plus rare ?

De même, en augmentant l'imposition des gains en capital et des dividendes, au nom de l'égalité entre la taxation du capital et celle du travail, on oublie que "le profit n'est pas une rente ni un gain en capital. Il est l'expression de la valeur que crée l'entrepreneur, tout à fait de même que le salaire est l'expression de la valeur que crée le travailleur". On oublie aussi que les revenus du capital sont déjà imposés à la source, avec pour résultat de décourager les entrepreneurs, les investisseurs et les épargnants, les orientant ainsi vers les placements sans risque quand ils ne décident pas de voter avec leurs pieds et de faire le bonheur des pays voisins qui leur déroulent le tapis rouge.

Mais il y a plus. La pensée unique veut que les entreprises qui distribuent des dividendes à leurs actionnaires ne soient pas de bonnes citoyennes et qu'il faut les encourager à réinvestir leurs profits en interne, en pratiquant un taux d'impôt sur les sociétés plus faible pour la partie des bénéfices non distribués. C'est présupposer que le capital est forcément mieux employé dans les secteurs existants, et notamment dans ceux qui gagnent de l'argent, que dans les secteurs nouveaux. Ces règles n'auraient-elles pas permis à la marine à voile et aux lampes à huile de durer jusqu'à nos jours ?

De même qu'il y a emploi et emploi, il y a aussi investissement et investissement. La pensée unique considère en effet que tout investissement est souhaitable et va même jusqu'à apprécier les décisions publiques en fonction du montant d'investissements qu'elles vont susciter et d'emplois qu'elles vont permettre de créer, sans se demander s'il sagit d'opérations rentables ou non.

En la matière, la palme revient à ceux qui appuient le projet de transition énergétique au motif que le démantèlement des centrales nucléaires va créer de nombreux emplois. Ceux-là ont non seulement mal compris Keynes, qui n'a pas été jusqu'à recommander de casser des carreaux pour donner du travail aux vitriers mais ils ont aussi mal compris Schumpeter, oubliant que la destruction doit être "créatrice" ! Ou alors il faudrait décorer de l'ordre du Redressement productif les jeunes qui vont prochainement fêter la Saint Sylvestre suivant une tradition bien établie en France, en brûlant des milliers de véhicules automobiles !

Il faut espérer que le grand débat sur l'énergie permettra d'analyser la rentabilité des investissements dans les énergies renouvelables et de réfléchir sérieusement au coût de la fermeture de Fessenheim, déclarée  bonne pour 10 ans de plus par l'ASN et de la réduction à 50 % de la part du nucléaire, estimé par l'Union française de l'électricité à près de 600 G€ d'ici 2030 ! Il est vrai que le coût de l'EPR de Flamanville vient d'être porté à 8,5 G€ mais il s'agit d'une tête de série et la loi qui veut que le coût final d'un grand projet soit égal au coût initial multiplié par le facteur Pi est à nouveau vérifiée, comme elle l'a été pour le Concorde ou pour le Tunnel sous la Manche !

En matière d'énergie, la palme de l'Horreur économique pourrait revenir aux politiciens de droite comme de gauche qui ont interdit l'exploration du gaz de schiste. Grâce à cette énergie, les USA sont passés de la situation d'importateurs à celle d'exportateurs de gaz avec à la clé un prix du gaz divisé par trois et la création de plusieurs centaines de milliers d'emplois industriels. Pendant ce temps, la France essaie en vain de freiner la hausse du prix du gaz et achète à grands frais du gaz à l'étranger et notamment au Qatar qui les réinvestit judicieusement dans de nombreuses entreprises françaises.

Il est vrai que la Constitution inclut un "principe de précaution" mais ce principe ne doit pas être confondu avec le principe d'inaction qui risque de bloquer toute tentative d'innovation. Si ce principe, mis par la droite dans la Constitution, avait existé à l'époque, le gaz de Lacq, qui était extrêmement corrosif, serait resté sagement dans le sous-sol palois et le Sud-Ouest n'aurait pas été industrialisé..

 

Joseph Aloys Schumpeter, dernier ouvrage paru : Théorie de la monnaie et de la banque, L'Harmattan, 2005, avec l'aide de Hubert Lévy-Lambert, président de X Sursaut, dernier ouvrage paru : les Douze Travaux d'Hercule du nouveau président, L'Harmattan, 2012.