Un entretien à distance avec Paul Vecchiali


Vecchiali est une des « célébrités » indiquées sur Internet pour la promo. Nous avons pu le joindre pour un entretien à distance, à partir de quelques questions qui lui ont permis de nous raconter son parcours et ses choix.

Nous savons tous que tu es un fana de cinéma. Comment ça t’est venu ?

À six ans, j’ai rencontré par hasard, dans un journal qui traînait, la photo de Danielle Darrieux dans Mayerling… Aujourd’hui, on appellerait ça un « traumatisme ». J’ai vu le film peu de temps après, deux séances d’affilée et, en sortant, j’ai dit à ma mère « Je ferai du cinéma plus tard ». Consternation !

Autrement dit, c’est dans ton jeune âge. Mais tu as choisi un parcours scolaire qui n’était pas des plus simples, avec la taupe et les concours. Pourquoi ? Ca ne t’a pas gêné pour ta découverte du cinéma ? Quelles ont été tes premières expériences ? Simplement voir des films, ou commencer à en bricoler ?

Ma mère, à qui je dois mon énergie et mon entêtement, souhaitait que je fasse de « grandes études », avant de décider quoi que ce soit. Je lui ai donc offert ma photo avec le bicorne pour la rassurer. Parallèlement à mes études (laborieuses), j’allais au cinéma le plus souvent possible. Cinéphage donc, puis cinéphile. Ma mémoire, exceptionnelle d’après mes proches et mes professeurs, m’a permis de faire ces études sans travailler trop, me réservant pour le cinéma.

À l’X, tu en savais déjà beaucoup. Je me rappelle ton animation du ciné-club et les films canadiens expérimentaux que tu nous as fait connaître. Nous avons même présenté « Madame de » en exclusivité à l’École. Nous avons ensemble rencontré Sacha Guitry pour lui demander les costumes du film Napoléon. Les actrices qui t’ont le plus marqué ? À l’X, tu étais déjà amoureux, professionnellement bien sûr, de Danielle Darrieux, et tu as fait appel à elle pour un de tes films. Souvenir de jeunesse ?

À l’X, pour le Point Gamma 1954, Maurice Thireau et moi, avons été chargés de « recruter » des starlettes. Il y avait, entre autres, Jacqueline Pierreux (mère de Jean-Pierre Léaud), Lisette Lebon et... Maria Riquelme avec qui je vécus une brève aventure et qui m’a permis de rencontrer Danielle Darrieux pour la première fois… Elle participait à la postsynchronisation de Châteaux en Espagne de René Wheeler. Curieusement, Danielle se souvenait des « lettres enflammées » que je lui avais adressées, enfant puis adolescent. 

Elle me présenta à Claude Autant-Lara et j’assistais ainsi au tournage en studio de Le Rouge et le Noir où Gérard Philipe était son partenaire. Édifiant ! Plus tard, grâce à Nicole Courcel, elle est venue faire une apparition dans Les petits drames…

Oui, j’étais amoureux de Darrieux. Comme un fou et sans espoir. Les femmes avec qui j’ai vécu ne lui ressemblaient pas. Son territoire demandait l’exclusivité.

Peu d’années après, alors que tu étais encore officier, tu as commencé à faire des films. As-tu un souvenir particulier, ou des anecdotes, sur cette première expérience ?

Après l’Algérie (Oui, bien qu’anarchiste, et ne portant jamais d’arme sur moi, j’ai tenu à être présent, me considérant comme responsable des actes de mon remplaçant si j’avais refusé d’y aller), j’ai obtenu un poste à l’École… Petit détail amusant, j’ai retrouvé là mon adjudant-chef qui s’est écrié « Ah non ! Pas vous ! Mais je suis heureux d’une chose : vous n’échapperez pas au défilé du 14 juillet ! »…

En 1961, en pleins problèmes O.A.S., j’ai réussi à obtenir une permission de dix-sept jours et pu ainsi réaliser mon premier long-métrage, Les petits drames. Tournage en 14 jours. Pas d’émotion véritable. Des rires en cascades. J’ai monté le film tout seul en 48 heures. Je ne connaissais rien à rien. Mais ma mémoire avait sans doute repéré la technique. Tombé dans la marmite ?

Nicole Courcel et Michel Piccoli, venus gratuitement, sont mes « marraine et parrain » de cinéma. Le film et sa copie ont disparu, perdus dans les déménagements. L’éphémère est notre lot à tous. Et c’est très bien ainsi. Le film était raté mais il plut à pas mal de personnalités du métier. Jean Rouch m’a même demandé l’autorisation de « copier » un de mes plans (un plan de fou déjà !). Il le fit dans Paris vu par…

Ensuite, j’ai ramé : comptable pour une société de romans-photos, adaptateur gratuit pour un producteur… Je travaillais dans le métro parce que, là, on ne demande pas de renouveler les consommations… Il m’était égal de ne pas être rémunéré : paie-t-on un musicien qui fait ses gammes ?

Enfant, je me voyais volontiers comme une boule de flipper… Balloté par les bumpers de la vie, sans craindre le tilt, avec tout en bas, le trou du cinéma où je finis par m’engouffrer.

Parle-nous maintenant de tes réalisations successives, de tes choix de sujets, de tes rencontres, de tes difficultés, de ton parcours en général…  Quels sont les films qui t’ont le plus marqué ? J’ai un souvenir particulier de « Femmes, femmes » ou de « Rosa, la rose… » mais aussi de « Change pas de main… » Le moins qu’on puisse en dire, c’est que tu es éclectique !

Même après avoir réalisé mon premier film « professionnel » (Les Ruses du Diable), j’ai continué à ramer méchamment. Je grattais à la télévision : films pour enfants que je réalisais et que je montais. Après avoir eu l’avance sur recettes pour L’Étrangleur, j’ai pu économiser et financer Femmes Femmes. Je pensais que personne ne verrait ce film, fait en « famille » avec les comédiens (dont ma sœur, Sonia Saviange) en participation. En fait, ce fut une « explosion ». Sélectionné à Venise pour la Mostra, le film fut remarqué par Pier-Paolo Pasolini qui le désigna comme un des plus grands films du monde (rires !) et engagea les deux actrices (Sonia donc et Hélène Surgère) pour Salo.

Ensuite, comme j’étais très réticent sur son travail et que je m’en étais expliqué avec lui, il me proposa de coréaliser avec lui Le Marquis de Sade… « Tu tournes et je regarde ». Il est mort quelques jours après la signature du contrat.

Femmes Femmes n’a pas été un succès public mais a provoqué un tel engouement critique que ma « carrière » a enfin démarré. Je n’ai pratiquement plus arrêté de tourner. Éclectique comme tu le suggères. Je n’aime pas remettre mes pieds dans mes traces. 

Les films qui m’ont marqué ? Mayerling of course. Le journal d’un curé de campagne de Bresson qui m’a fait passer de la cinéphagie à la cinéphilie. Puis, je m’intéressais davantage aux réalisateurs qu’aux films. Donc, Keaton, Sternberg, Ophus, Lubitsch, Grémillon, Ford, Bresson, etc.

Les actrices : Dietrich, Marilyn, Rita Hayworth, Gene Tierney, Annabella, Viviane Romance, Jany Holt, Morgan, Feuillère… (Aujourd’hui, j’ajouterais Vanessa Paradis).

Les acteurs : Gabin, Philipe, Harry Baur, Saturnin Fabre, Jules Berry, Michel Simon, etc.

Mes difficultés dans ce métier ? Sans forfanterie : ma droiture et ma rigueur. Ce qui m’a joué des tours dans une profession où elles sont bafouées constamment. Détesté après avoir été craint (?) par ce monde qui n’est pas le mien, je suis parvenu à installer une autodéfense en créant mes propres entreprises. Loin des aléas et des contraintes. Mais aussi, peu à peu, des subventions…

Ma fierté est surtout d’avoir permis à de jeunes cinéastes de faire leur premier film en toute indépendance. Seule obligation : ne pas dépasser le budget. Ma société (Diagonale) possédait deux départements : un consacré au cinéma et à la télévision, l’autre au traiteur.  Ainsi se compensaient les TVA sans demander les remboursements ; ainsi se régulait le flux et reflux de l’argent dans une balance constante et productive.

En 1998, lassé des conflits avec la profession, je décidai d’arrêter ma société, d’abandonner le cinéma. Pour l’anecdote : 42 refus consécutifs à l’avance sur recettes et 72 rétrospectives dans le monde entier… Sans compter les cinq qui se présentent en 2013.

Je me rappelle aussi t’avoir vu jouer, dans un théâtre de banlieue, avec Patachou,  une pièce qui évoquait ta famille. Autrement dit, tu es aussi acteur de théâtre. Dans « Humeurs et rumeurs », tu fais chanter quelques chansons qui me sont restées en mémoire. Nouvelles preuve de l’étendue de tes compétences ?

Oui, j’ai joué comme comédien avec Patachou au Petit Théâtre de Bobigny, dans une pièce que j’avais écrite, Poussières. Pour la bonne raison que René Gonzalès, directeur du théâtre, avait exigé que je joue le rôle ! Cette pièce était en hommage à ma mère et il pensait que je devais en être l’interprète. Expérience douloureuse mais enrichissante surtout grâce à Patachou. Peu à peu, m’est venu le goût du jeu et, à présent, je pense être un comédien potable.

Et, en plus, tu écris des romans ?

Héritage de ma mère qui écrivait souvent des poèmes ? J’en écris souvent, dont certains deviennent des chansons avec l’appui de mon « alter ego », Roland Vincent – plus de soixante produits en commun : chansons, films, téléfilms, théâtre, film « industriels ». Roland avec qui j’ai en commun le goût des jeux de mots, mais aussi des défis.

Enfant, déjà, j’écrivais des romans. Exécrables. Sentimentaux à l’excès… Adolescent, j’ai cessé de me croire écrivain. Une fois entré à l’X, l’envie d’écrire m’est revenue. Mais je n’étais toujours pas satisfait…

Mes romans ? Une sorte de biographie de ma famille qui devient, avec le temps, auto : Les Frontières de l’Aube (édité chez Stock puis réédité chez Aléas), Les Parfums de l’Aurore, Les Appétits du Matin, Les Soleils de Midi, Les Aléas de la Sieste, Les Cinq à Sept en Diagonale, Les Surprises du Couchant, Les Fléaux du Crépuscule et, à venir, Les Abîmes de la Nuit. Après Les Frontières de l’Aube, aucun n'a été édité : même ceux qui appréciaient refusaient de prendre la suite de Stock qui avait publié le premier et avec qui je me suis fâché !

Édités, un premier roman, Marie-Christine, où je raconte la mort de la femme avec qui je vivais et qui portait ma fille (celle du titre), un recueil de nouvelles, Quand Meurt le Fantastique, un « Poulpe », la Pieuvre par Neuf, Un diptyque "gays", assez hard, Indécente Mémoire, et Vade Retro, Calme était la Mer (une affaire de viol) etc...

La suite ?

Revenons à l’abandon (sincère alors) du cinéma en 1998. Il me fallait faire le travail du deuil. Pour cela, me replonger dans les films de mon enfance. Et, par voie de conséquence, réendosser le veston de l’écrivain. Ce qui donna, entre autres, L’encinéclopédie, énorme travail consacré aux cinéastes « français » des années 30 et leur œuvre. Deux ans de façon continue et dix ans de revisionnages et réécriture. D’autres romans suivirent, assez nombreux, dont quelques-uns ont trouvé éditeur. Et je me sens plus à l’aise.

En 2002, rétrospective intégrale à la Cinémathèque. Laquelle se termina par En haut des marches, film où j’avais eu enfin, interprétant un personnage inspiré de ma mère, cette chère Danielle Darrieux. Elle qui refusait toute représentation eut envie de revoir le film. Et, en fin de projection, elle cria aux spectateurs « Dites-lui qu’il n’a pas le droit d’arrêter ! ».

Qu’aurait-on fait à ma place ?

Depuis 2003, je fais mon petit film par an, avec une grande légèreté de moyens, une distanciation plus accomplie et une indépendance totale. Soit 9 films à ce jour. Sans m’inquiéter de leur exploitation. Suivra, suivra pas ? L’éphémère m’a rattrapé !

Polytechnique m’a beaucoup apporté : l’esprit de synthèse, le recul, et la rapidité de jugement.

Finalement, même si ton parcours n’a rien de classique pour notre École, tu es un vrai poly- technicien ! 

Oui, je me considère comme un vrai polytechnicien !


Paul Vecchiali, 53
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