Plaidoyer
pour la réinsertion des sortants de prison
Membre de l'Association reconnue d'Utilité Publique l'Îlot, créée
en 1969, spécialisée dans l'aide aux personnes en grande
difficulté et particulièrement aux sortants de prison, je
travaille avec l'aide de mon collègue et ami Bernard Pech à la
mise en place d'un programme de formation/réinsertion de jeunes
adultes (18-25 ans) sous main de Justice (c'est-à -dire : sous
contrôle du Juge d'Application des Peines ou de l'Administration
Pénitentiaire) à Perpignan.
La population carcérale : Perception et
Réalité
Public et
Médias assistent en masse aux procès des Assises. On pose
invariablement la
même question aux familles des victimes :
« Qu'attendez-vous de ce procès ? » qui
entraîne immanquablement les mêmes
réponses « Que la Justice
passe ! », « Que les coupables soient
punis ! ». Et le plus souvent elles
s'indignent à l'issue du procés car elles estiment que
le Juge a été trop clément. La Justice Pénale
devient ainsi prisonnière des Parties civiles.
Dans un discours prononcé le 9 janvier 2013, à
l'occasion de l'audience solennelle de rentrée de la
cour d'appel de Paris, Jacques Degrandi, Premier
Président de la Cour d'Appel de Paris, a déclaré : La
mise en scène du malheur destinée à favoriser le
deuil des victimes dénature la justice pénale et la
transforme en simple instrument de vengeance
collective et individuelle.
En réalité les personnes coupables de crimes, de
délits sexuels ou passibles de peines lourdes
représentent moins de 4% de la population carcérale.
Celles-là ont été jugées aux Assises et incarcérées en
Centrale. Tous les détenus ne sont donc pas, loin de
là , des criminels asociaux ou des obsédés sexuels. La
population carcérale est extrêmement diverse :
qu'y a-t-il de commun entre une mère infanticide, un
braqueur de bijouterie, un voleur de voiture, un
escroc ou un jeune condamné à deux mois de prison pour
conduite sans permis ?
Mais les Media ne s'intéressent qu'aux affaires les
plus spectaculaires chargées d'émotion et dans
lesquelles les victimes attirent tout naturellement la
compassion de l'Opinion Publique qui en retour
condamne le prévenu sans nuances.
L'opprobre, compréhensible, envers les auteurs de
délits graves aux conséquences douloureuses s'étend
hélas ! indistinctement à l'ensemble des
délinquants.Trop de nos concitoyens en viennent à
considéer que la place d'un condamné est en prison,
quelle que soit la faute qu'il a commise, et qu'il est
préférable qu'il n'en sorte pas. Il n'en reste pas
moins que 85.000 détenus sortent chaque année de
prison. Et sauf à décider que désormais tout délit
sera puni d'emprisonnement à vie ce nombre ne peut pas
diminuer.... En outre en visitant la prison de
Fresnes on découvre des catégories bien particulières de
détenus. Par exemple : en présence du responsable
sanitaire du Pénitencier j'ai pu avoir, dans sa cellule,
une conversation avec un détenu paraplégique,
entièrement paralysé des membres inférieurs, en fauteuil
roulant. Condamné à 15 ans de réclusion après un
braquage violent de banque à main armée. Sa paraplégie
est la conséquence d'une « interpellation
musclée ». Que peut faire le tribunal d'un braqueur
devenu paraplégique ? A l'évidence rien d'autre,
dans l'état actuel du code pénal, que de le condamner à
la prison. Cet homme est à Fresnes depuis 4 ans. Il a
fallu aménager sa cellule pour qu'il puisse se déplacer
dans son fauteuil roulant.
A Fresnes encore un quartier est affecté aux détenus
malades mentaux. On y observe des pathologies variées
souvent provoquées par la toxicomanie.
Dans la mise en place du programme de réinsertion de
jeunes délinquants à Perpignan sur lequel j'ai commencé
à travailler il y a trois ans je me suis durement heurté
aux préjugés sur la prison et la délinquance. Bien que
je dispose d'un soutien sans faille de l'Association
l'Îlot j'avais jugé qu'un tel projet était trop lourd
pour que je puisse le mener à bien seul, à 850 km du
siège Parisien de l'Association. J'ai donc cherché 3 ou
4 personnes qui acceptent de m'aider. Pendant une année
entière j'ai battu la campagne, frappé à toutes les
portes, j'ai même obtenu un très bel article dans la
Semaine du Roussillon intitulé : "Un beau projet en
quête de bénévoles" : pas un retour ! Têtu
comme un mulet Pyrénéen j'ai démarré seul...
L'Administration Pénitentiaire distingue les personnes
condamnées à moins d'un an ou jugées capables de se
réinsérer qui sont en Maison d'Arrêt et les condamnés à
des peines lourdes ou considérés comme réfractaires à
une réinsertion et qui sont en Centrale. C'est
évidemment aux personnes détenues en Maison d'Arrêt que
nous nous intéressons.
Arracher les jeunes à la récidive
Un condamné sortant de prison se retrouve sans
emploi, sans argent et souvent sans abri : c'est une
recette garantie pour la récidive. Et c'est exactement ce
qui se passe : 38 % des déacute;tenus sont des récidivistes.
La prison n'a pas le pouvoir de dissuasion qui devrait être
le sien. L'a-t-elle jamais eu ? L'Institut Montaigne,
ce Groupe de réflexion de haut niveau cré´ par Claude Bébéar
X55 fondateur d'AXA a publié un rapport remarquable
intitulé : "Comment rendre la Prison (enfin) utile". Ce
rapport commence ainsi :
« Je vous encule, vous ne savez pas qui je
suis : j'ai fait trois mois à Bois d'Arcy ! »
C'est ce qu'a hurlé ce jeune homme aux policiers qui
l'appréhendaient pour violence sur la voie publique. Il a
été condamné en comparution immédiate à deux mois de prison
ferme par le Tribunal correctionnel de Versailles, le 2
avril 2008. Qui peut croire qu'il apprendra, pendant ces
deux mois, ce qu'il n'a pas appris pendant les trois mois
précédents ?
Et d'ajouter : "en France, comme l'indique un taux de
récidive élevé, la prison ne remplit pas son rôle de
réinsertion. Cela est particulièrement vrai des jeunes
gens condamnés à de courtes peines : leur passage
en prison, loin d'être bénéfique, se révèle souvent
catastrophique. C'est à, eux que le Groupe de travail Prison
de l'Institut Montaigne a souhaité consacrer ce rapport".
Le rapport formule 15 propositions et souligne le rôle
essentiel des Associations. Les statistiques sur le niveau
de formation de la population carcérale sont éloquentes. En
2012 sur 52.004 détenus interrogés :
- 1,5 % n'a jamais été scolarisé,
- 47,9 % sont sans diplôme,
- 79,9 % ne dépassent pas le niveau CAP,
- 28,8 % des détenus sont issus de cursus courts ou
d'échecs du système scolaire (primaire, enseignement
spécialisé, CPPN, collège avant la 3ème),
- 26,7 % échouent au bilan de lecture proposé, 10,9 % sont
en situation d'illettrisme au regard du test.
Même sans le terrible handicap que constitue leur passage en
prison des personnes ayant un niveau d'instruction et de
formation aussi bas auraient bien peu de chances d'obtenir
un emploi. Avec de surcroît l'handicap d'un casier
judiciaire elles n'en ont plus aucune ! En outre en
prison les détenus sont désœuvrés et vivent dans un univers
clos où ils perdent tout lien social ce qui rend encore plus
aléatoire leur réinsertion dans la société à leur sortie de
prison.
Resocialiser les jeunes délinquants, les remettre au niveau
d'instruction minimum indispensable, leur donner une
formation professionnelle susceptible d'intéresser des
entreprises constituent à l'évidence ce que le général de
Gaulle disait du Commissariat au Plan : une ardente
nécessité. La formation proposée par l'Îlot est une formation
d'une durée de 11 mois en alternance, comportant donc
une immersion en entreprise, qualifiante
c'est-à -dire : débouchant sur un diplôme reconnu.
En outre l'Îlot assure un accompagnement socio-éducatif très
élaboré ayant pour but de redonner à ces jeunes les repères
sociaux qui leur manquent, de les préparer à la vie en
entreprise et de les accompagner dans leur recherche
d'emploi. Les jeunes se révèlent souvent peu préparés à une
activité structurée et exigeante. Peu de structures abordent
cette problématique aussi spécifiquement que le fait l'Îlot.
Dans son budget 2015 l'Îlot a inscrit une somme de 120.000 €
pour financer le démarrage du projet. Deux conseillers
d'insertion seront embauchés pour assurer l'encadrement et
le suivi socio-éducatif des jeunes et les liaisons avec les
entreprises les accueillant en stage.
Quelques points administratifs sont encore en cours d'examen
en dépit de l'intérêt manifesté par tous les acteurs
institutionnels concernés. Nous espérons néanmoins voir à
Perpignan une première promotion de 15 jeunes adultes
commencer leur formation mi-2015 et entrer sur le marché du
travail mi 2016.
Un programme très prometteur, une mise en
place délicate...
Il m'aura fallu deux ans d'un travail acharné
pour parvenir au stade actuel. Le circuit de l'Insertion est
complexe. Identifier les bons interlocuteurs, les approcher,
les convaincre est une tâche de Sisyphe. Les nombreuses
personnes que j'ai rencontrées, de la Juge d'Application des
Peines à la Déléguée du Préfet en passant par Pôle Emploi,
l'Administration Pénitentiaire et bien d'autres, sont
indiscutablement compétentes et désireuses de bien faire.
Mais elles sont souvent prisonnières de procédures complexes
et sont parfois isolées au sein d'Administrations qui ont du
mal à communiquer entre elles..
Est-il besoin de préciser que cette action est totalement
apolitique. Il ne nous appartient pas
de dire aux pouvoirs publics et aux élus ce que devrait être
la politique pénale ni de participer au débat manichéen
entre "laxisme" et "rigueur".
Notre démarche est simple : nous constatons que chaque
année 85.000 détenus sortent de prison, que près de
40 % d'entre eux sont menacés d'y retourner, que le
taux de récidive est particulièrement élevé chez les jeunes
et qu'une formation professionnelle qualifiante comprenant
une immersion en entreprise avec un accompagnement
socio-éducatif adéquat est le meilleur moyen de les
réintégrer dans la société, d'en faire des citoyens
ordinaires et ainsi d'enrayer la récidive. Nous les prenons
tels qu'ils sont à la sortie de prison et les accompagnons
jusqu'à ce qu'ils retrouvent leur place dans la société avec
un emploi stable. Et bien entendu nous choisissons des
métiers pour lesquels on observe un nombre élevé d'offres
d'emploi non satisfaites.
Le Bâtiment, les métiers forestiers, la manutention, la
restauration, la verrerie : il ne manque pas de
secteurs où l'économie est en panne de main-d'œuvre pour de
nombreuse raisons qu'il n'est pas dans mon propos d'évoquer
sauf celle-ci qui a des conséquences dramatiques : le
préjugé envers les métiers manuels et la sacralisation des
diplômes. Avec entre autres conséquences la
disparition progressive d'un artisanat riche de siècles
d'expérience accumulée. Combien d'artisans désespèrent de
trouver à embaucher les jeunes dont ils ont besoin !
Les Lycées professionnels vers lesquels l'Education
Nationale dirige les naufragés du Secondaire connaissent des
taux d'absentéisme et d'échec scolaire extravagants alors
qu'ils devraient être à la pointe de la formation
professionnelle.
À Perpignan l'Îlot formera de jeunes adultes au métier
d'Agent de restauration collective.
On fait ainsi d'une pierre trois coups :
- on arrache de jeunes délinquants à la récidive,
- on donne aux entreprises la possibilité d'embaucher un
personnel qualifié qu'elles peinent à trouver sur le marché
du travail,
- on économise l'argent public car la réinsertion coûte
moins cher que la prison.
Rien de plus mais rien de moins. Pour apprécier ce que cette
démarche peut apporter à notre société je vous invite à lire
le récit d'un cas concret intitulé l'Histoire de Marie. Pour
le lire cliquez sur le lien suivant : Histoire de Marie.
L'Association l'Îlot en quelques
chiffres :
1 257 personnes accueillies et/ou accompagnées
en 2013,
142 personnes en contrat d'insertion dans ses ateliers,
254 personnes reçues et soutenues en accueil de jour,
807 personnes hébergées et accompagnées.
Grâce à :
10 500 donateurs, 18 financeurs publics et 8 fondations,
72 salariés en CDI et 39 salariés en CDD,
229 adhérents et 17 administrateurs.
La générosité des particuliers (10.500 donateurs), des
fondations et des entreprises couvre 25 à 30 % d'un budget
qui dépasse 7 Millions d'€
L'association l'Îlot et l'institut Montaigne ont
rédigé ensemble en 2011 une Charte de réinsertion
des sortants de prison inspirée de la Charte de la
diversité.
Afin de sensibiliser le grand public à cette thématique
et de mobiliser les entreprises une association Sortir
de prison intégrer l'Entreprise (SPILE) a été
créée. Composée d'entreprises et d'associations et
parrainée par l'Institut Montaigne et l'ANDRH
(Association Nationale des Directeurs de Ressources
Humaines) elle est présidée par Nicolas de Tavernost,
Président du directoire du groupe M6.
Si ce plaidoyer pour la réinsertion vous a convaincu aidez
l'Îlot en faisant un don, déductible à 66% de l'Impôt sur le
revenu et à 75% de l'ISF. Cliquez sur le lien suivant pour
connaître la marche à suivre : Faire un Don à l'Îlot
Pour finir sur un sourire
:
À ceux qui auront eu la patience de lire ce
document jusqu'ici offrons un rayon de soleil : non,
tout n'est pas noir dans ce monde de brutes, la lueur de
l'espérance brille encore.
Pour vous en convaincre lisez l'article de Pascale
Rober-Diard chroniqueuse judiciaire du journal Le Monde
intitulé : Un Conte de
Printemps.