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« Tu trouveras ci-joint quatre petits contes (ou se voulant tels)
pour honorer ma promesse. Tu les publies ou pas. À mon âge, je n'ai pas
de susceptibilité d'auteur, si j'en eus jamais ! Ils ne sont pas frappés,
tu m'en excuses. »
Il
était une fois un atelier de contrôle légal
occupant une quarantaine de laborantines. C’étaient les
Dames. Le travail n’était pas très difficile,
mais il était fastidieux. Aussi était-il très
utile. Il n’était pas, non plus, trop pénible,
sauf à la belle saison. Les larges baies vitrées
autorisaient l’entrée des flots du soleil, qui
ajoutaient leur chaleur au rayonnement des fluides dont les Dames
avaient besoin pour leur travail.
On
ne sait plus quel événement déclencha le
conflit, mais une grève, un jour, s’installa. La Grande
Argenterie, comme c’était son droit, s’en mêla
aussitôt. Les négociations, âpres, traînaient,
quand le Canard publia quelques dessins faciles, mais irrévérencieux
envers le Grand Argentier, en rapport évident avec la fonction
des Dames. Les choses, alors, évoluèrent
précipitamment. Une Prime fut instituée, assise sur le
volume de production contrôlée. Elle permettait, comme
toujours en pareil cas, d’éviter la contagion,
c’est-à-dire des augmentations de salaires pour des
millions de personnes. La fièvre retomba, le travail reprit,
toujours monotone mais toujours aussi utile.
Pendant
quelques années, la Prime joua faiblement, car la quantité
de travail était proche de la norme qui avait été
arrêtée. Brutalement, il y eut un coup de feu. Les dames
lui firent face avec ardeur. La Prime, cette fois, joua à
plein et, rapidement, représenta une part notable du salaire.
L’Autorité Locale, qui se voulait bonne, se réjouissait
de cette petite aisance ajoutée aux modestes revenus des
dames, en même temps qu’elle appréciait le regain
d’activité.
Toutefois,
la Grande Argenterie n’était assoupie qu’en
apparence., mais ses oreilles restaient attentives à la
moindre sinusoïde anormale, et ses yeux au moindre photon
dépensier. Elle dépêcha aussitôt un petit
argentier diligent, afin de tuer la Prime, avec des arguments tout
prêts ou forgés sur le champ, qu’il assurait avec
une maîtrise apprise de longue date. L’Autorité
Locale n’avait que de maigres raisons à faire valoir,
comme celle d’une juste récompense pour le travail
fourni et le respect de la parole donnée, en l’occurrence
celui d’une règle établie d’un commun
accord.
Situation
bloquée, voire menaçante. Quelqu’un eut l’idée
très simple de suggérer, avec tact, que le Canard
pourrait, lui aussi, se réveiller, ressortir ou améliorer
quelque dessin ou commentaire, d’autant plus qu’entre
temps le Grand Argentier était devenu Grand Mamamouchi.
L’effet de cette éventualité, poliment évoquée,
fut foudroyant ; et, très vite, on n’en parla plus.
Quand
l’avis de coup de vent fut rapporté, l’Autorité
Locale, toujours aussi bonne ou se croyant telle, alla trouver les
dames, leur fit entendre avec discrétion qu’elle ne
s’opposerait pas à permettre quelque renfort, bref à
créer quelques postes, sachant qu’elle satisferait par
ailleurs une revendication permanente, voire institutionnelle.
Les
Dames, avec la même discrétion, firent savoir qu’elles
étaient sensibles à l’attention qui leur était
portée, mais qu’elles étaient responsables et
qu’elles mettraient un point d’honneur à faire
face à leurs obligations. L’Autorité Locale
n’insista pas et se rendit compte que le système de
régulation avait, en ce cas, était correctement monté,
c’est-à-dire à l’endroit, incitatif à
l’efficacité et préventif de débordement.
Elle constata que ce montage raisonnable était, finalement,
assez rare.
Entre
temps, les dames avaient, dans leur domaine, battu le record d’Europe
En
ce temps-là, les rapports écrits étaient peu
nombreux, et les décisions conséquentes à
proportion. De plus, elles étaient souvent irrationnelles.
C’est pourquoi elles étaient presque toujours
raisonnables. Ainsi du réseau « R ».
L’idée
en avait agité quelques cerveaux, autant par hasard que par
nécessité. Puis elle avait germé. La
cristallisation a ceci de puissant qu’elle focalise, comme
naturellement les réflexions et actions ultérieures de
ceux auxquels elle s’est imposée.
Ainsi
naquit un projet moderne, hardi, finalement coûteux qui eut été
vite étouffé si l’on en avait claironné,
dès sa jeunesse, les difficultés, les interdits et le
poids économique. Ceux qui le prirent en charge s’en
sont bien gardés, sans qu’il leur manquât pourtant
la moindre lucidité.
Ils
évaluèrent constamment les risques technologiques et
financiers, et conduisirent avec précaution le Réseau
le long de cette frontière improbable qui sépare la
réalité du possible d’aujourd’hui de
l’utopie de la performance de demain.
Ils furent puissamment aidés par les
circonstances : d’autres projets, plus massifs et chers
aux yeux des décideurs, avaient vu le jour. Le Réseau
sut se mettre à leur ombre. Les crédits, toujours
insuffisants mais néanmoins croissants, étaient
disponibles. On put les consommer avec modération. Le Réseau
heurtait certain monopôle d’État. On évita
de poser le problème avec brutalité, voire
impertinence. La réponse fut aisément trouvée
comme en pareil cas quand il n’y a plus de question. On
s’appliqua enfin à éviter les drames industriels
par une répartition réglementaire et équitable
des charges, permettant, de plus, l’exercice permanent des
pressions nécessaires sur les coûts.
Le
Réseau fut, un temps, l’un des plus modernes du monde,
avec ses hertziens troposphériques, sa commutation
électronique, son système numérique à
haute vitesse, ses télésurveillances et
télésignalisations permettant le routage optimal des
informations. Un des problèmes était celui de la durée
de vie des tubes émetteurs de puissance. Quelques mécaniciens
« moustachus » de l’Armée de l’Air
furent heureux d’en tirer des performances supérieures à
celles annoncées par le constructeur … Mais au prix de
morts prématurées. On mit, dit-on, les tubes sous clef,
qui retrouvèrent leur puissance nominale et une fiabilité
respectable.
Ce
récit est, peut-être, un peu romancé. Le passage
en force, voire les provocations, ne sont pas toujours la condition
nécessaire de réussite, surtout en cas de moyens
modestes. On sait, pourtant, que l’eau est plus redoutable que
le feu.
En
ce temps-là - probablement en – 45 selon une échelle
mal connue -, l’assemblée céleste se réunit
sous la présidence de Dieu. L’ordre de la nuit
comportait un débat sur un projet de loi de gravitation
universelle. Les rapporteurs étaient les archanges Raphaël,
Gabriel et Michel. Les neuf ch½urs des trois hiérarchies
étaient amplement représentés, et notamment les
Séraphins, les Chérubins, les Vertus, Trônes et
Dominations …
La
séance fut agitée, tant les courants contraires
circulaient entre partisans, adversaires, hésitants. Ainsi,
les Vertus estimaient inutile la création d’une
quatrième force. Ils déploraient les trois déjà
en vigueur, alors, disaient-ils, qu’On ne leur avait promis
qu’une. Les Séraphins, par contre, tenaient pour la
gravitation à qui tout obéirait, et partout. Au moins,
ajoutaient certains, pour « voir ce que ça
donnerait » et satisfaire leur curiosité.
Les
rapporteurs, prudents, déclaraient que le projet comportait
des avantages, mais aussi des inconvénients et qu’il
suscitait des réserves : à leurs yeux, la
difficulté résidait moins dans son principe que dans la
valeur à attribuer à la constante de gravitation nommée
G. La surprise vint de Satan. On le savait, jusqu’alors,
hostile, car il se réjouissait ouvertement du chaos qui
régnait déjà dans l’Univers. Il espérait
même que cela rendrait, à terme, le temps, qu’il
n’aimait pas, sans objet.
Tout
à coup, dans un éclair de lucidité, Satan perçut
une fulgurante opportunité : grâce à la
quatrième force, la soupe actuelle, déjà
ensemencée de minuscules irrégularités que
personne, ou presque, n’avaient vues, ne manqueraient pas, très
vite, de former des grumeaux, non moins vite entraînés
dans une ronde infernale, et sans cesse croissants. Un certain ordre
naîtrait, au dépens du chaos, ce qui, précisément,
n’était pas pour lui déplaire : où
pouvez-vous mettre le désordre, là où il est
déjà partout ? Pour paradoxal qu’il fut, le
raisonnement – l’intuition, si vous préférez
– de Satan était malin et judicieux. Il fit profonde
impression sur l’assemblée, dont il retourna les
incertitudes.
Commença
alors la discussion sur la valeur qu’il convenait d’assigner
à G. La cacophonie céleste fut extrême, auprès
de laquelle l’éclat des trompettes de Jéricho eût
paru gazouillis. Bien sûr, ceux qui restaient opposés
au projet proposèrent pour G la valeur zéro. C’était
imprudent. On leur rétorqua qu’alors, de facto, ils
reconnaîtraient la loi, dont il serait facile, ultérieurement,
de modifier les paramètres. D’autres préconisaient,
pour G, des valeurs élevées. D’autres demandèrent
de rapprocher, en intensité sinon en nature, gravitation et
électromagnétisme, afin que masses et charges fussent
traitées similairement. Les rapporteurs firent aisément
valoir que ce serait, ipso facto et subito, la fin de l’espace
-temps. Même les anges ordinaires, dont beaucoup somnolaient en
souriant, en admirent l’évidence.
Jusqu’alors,
Dieu était peu intervenu, bien qu’il fut, de fait, très
favorable au projet. On sut plus tard qu’un peu las du travail
de près de six « jours » d’affilée
auquel il avait consacré ses soins, il s’était
volontairement abstenu de penser les conséquences de sa loi
et de sa constante G, en se réservant ainsi quelques
surprises. Certains ont parlé d’absences, dont d’autres
ont tiré cette conclusion qu’Il n’existait sans
doute pas. Dieu laissa subsister le mystère, assuré
qu’un Univers certain serait d’un ennui mortel et qu’il
fallait laisser au sûr, à l’imagination, voire au
doute, toute leur place.
Mettant
fin au tumulte et aux querelles, Dieu obtint aisément de
l’assemblée que G serait fixé par décret
divin. Pourtant – à sa feinte surprise – la loi ne
fut votée qu’à une courte majorité,
événement dont se gaussa la gazette de l’Univers.
En fait, beaucoup d’anges issus de tous les ch½urs,
incapables de calculer l’avenir, en venaient à redouter
les risques. Ils craignaient les inévitables grains de sable
qui n’allaient pas tarder à cribler leur beau ballon
d’espace – temps en son majestueux déploiement.
Même Satan, murmurait-on, aurait été pris de
remords… Ce fut bien pis quand parut le décret,
peut-être au temps – 44. Les exclamations, les quolibets
fusèrent de toutes les hiérarchies et la subtilité
du choix masqua d’abord la petitesse presque ridicule de G.
Tout ce tintamarre céleste, entendait-on, pour aboutir à
un résultat pratiquement nul ! Autant donner raison à
ce qui ne voulaient pas de loi ! Combien de temps pour constater
les effets ? Pourquoi avancer le mur de planque – ainsi
nommé alors – derrière lequel le temps se perd
dans la nuit ?
Sur
ordre divin, un travail d’apaisement fut systématiquement
entrepris et personne n’était pressé. La paix
universelle se rétablit graduellement. La lumière, pour
ainsi dire, était revenue et beaucoup purent contempler les
premières galaxies et leur tournoiement. Satan allait avoir du
travail. Mais il ne pouvait plus se frotter les ailes, on les lui
avait rognées.
Ainsi
fut complété l’univers, pour l’éternité
et nous avec. À cause du réglage fin d’une
minuscule constante, presque négligeable.
Un
roi avait deux cours, sans qu’on sût bien pour quelle
raison. Certains tenaient pour un sort jeté par un aïeul,
ancêtre probable de la fée du bois dormant.
La
première cour était faite de chiens. On l’appelait
cynique. L’autre de chats, évidemment nommée
féline. On voit que si sorcière il y eût, elle
était vraiment maléfique pour avoir créé
cette cohabitation.
Les chiens, entièrement soumis, exerçaient
avec bonheur les fonctions régaliennes. Ils gardaient le
Château, surveillaient le Trésor, attaquaient ou
dissuadaient les chiens errants et, surtout, les hordes de loups. Ils
assuraient la subsistance : c’étaient les acteurs
principaux des chasses, soit qu’ils levassent le gibier, soit
qu’ils le forçassent, soit qu’ils le ramassassent.
Quelques ratiers, par ailleurs, faisaient du nettoyage tandis que les
caniches faisaient l’animation des veillées. Pour tous
ces services, la Cour Cynique était nourrie, logée,
soignée, souvent adulée. Mais, évidemment,
solidement tenue en laisse.
La
Cour Féline, elle, n’avait aucun de ces avantages. On
lui laissait un peu de lait quand il y en avait, on lui abandonnait
granges et greniers. On lui accordait quelqu’efficacité
contre les rongeurs domestiques ou champêtres. On lui concédait
quelque grâce dans son attitude. Mais, finalement, le jugement
était qu’on savait mal à quoi elle servait, et on
n’aimait ni ses cris, ni, surtout, son indépendance. On
la tolérait, à cause de la fée supposée.
Vint
la ruée des rats. Et, avec eux, la Peste. On ne sait plus si
elle était noire ou brune. Certains pensèrent que, dans
la nuit, voire dans le brouillard, il n’y a pas de différence.
Bien
que courageux, les ratiers furent vite débordés. Sans
consigne ni concertation, comme ça, instinctivement, la Cour
féline entra en action. Ce fut un beau carnage et, pour les
chats, un beau festin, bien qu’obtenu à grand peine
d’affuts, de bonds et de griffes. Le fléau fut maîtrisé,
la Cour Cynique penaude, la Cour féline repue mais lasse.
Le
Roi était heureux, mais se sentait gêné du manque
de considération qu’il avait toujours témoigné
envers une Cour délaissée. Il convoqua - non, il pria
de venir – un vieux Chat, sans doute représentatif en
raison de son âge, car il y avait peu de hiérarchie à
la Cour Féline. Le chat vint en simples habits de fourrure,
oreilles dressées, prunelles attentives et griffes rentrées,
mais sans bottes, car il n’en était pas encore question.
Il
reçut poliment les félicitations d’usage. Quand
l’entretien courtois se fut achevé, le Roi, quand le
Chat s’en retourna, lui demanda pourquoi la Cour féline
avait agi ainsi ? C’est, lui répondit le Chat,
parce que nous sommes libres.
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