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48 à 51

Alain VIVET
Ingénieur, Aménageur et Promoteur Autoroutier



Préambule

Avant de raconter ce que j’ai fait depuis 50 ans, je souhaiterais faire un petit retour en arrière, pour évoquer mes origines familiales durement touchées par les deux guerres mondiales.

Mon père, X de la promotion 25, était sorti dans l’Artillerie, comme c’était le cas pour une partie notable des promotions de l’époque. Courageux et pénétré du sens du devoir, il était toujours volontaire pour les missions difficiles et il a été tué au combat au cours de l’une de ces missions, en mai 1940, dans la région de Cambrai. Il laissait une veuve de 35 ans avec trois jeunes enfants.

Lorsque je me suis marié, vingt ans plus tard, je suis entré dans une belle-famille également très éprouvée par les guerres, puisque le père de ma femme, qui était Commissaire de la Marine, était mort en mer en juin 1940, laissant également une jeune veuve et trois enfants, et que son grand père avait eu quatre frères tués pendant la guerre de 1914.

Cette courte relation des deuils familiaux explique que je considère comme une très grande chance et un bienfait inestimable d’avoir vécu, depuis cinquante ans, dans un pays libre et en paix avec ses voisins, et que je pense souvent avec reconnaissance aux fondateurs et aux artisans de l’Union Européenne à qui nous devons cette paix, cette liberté, et même la prospérité qui en a résulté.

C’est grâce à eux, notamment, que la plupart des membres de notre promotion a pu connaître une vie et une carrière heureuses et épanouissantes.

Dix années pour l’Afrique.

Pour ma part, je suis sorti de l’X dans les Ponts et Chaussées et j’ai eu, de plus, la chance de ne pas pouvoir prétendre aux postes « métropolitains », mais de devoir accepter une affectation « coloniale », ce qui m’a permis de commencer ma carrière dans des conditions passionnantes, au plan humain comme au plan professionnel.

Affecté en Côte d’Ivoire au début de 1959, j’ai été rapidement chargé de l’arrondissement Travaux Publics d’Abidjan, qui couvrait non seulement les voiries principales d’une ville de trois cent mille habitants, avec les problèmes d’urbanisme et d’architecture correspondants, mais aussi 10 000 kilomètres de routes bitumées et de pistes en terre desservant le quart Sud-Est de la Côte d’Ivoire.

Mon activité était variée et intéressante, d’autant plus que les crédits ne manquaient pas, que l’économie Ivoirienne se développait rapidement, et que la construction et l’entretien en bon état du réseau routier indispensable au transport des produits, notamment agricoles, était une ½uvre éminemment utile et respectée. En dépit de l’indépendance, acquise en 1961, ce pays vivait encore sous un régime néo-colonial, actuellement fort décrié, mais qui assurait au moins la paix et une relative prospérité.

Au plan personnel, la vie sociale y était très active, un peu comme dans les anciennes colonies, et fournissait l’occasion de nouer de nombreuses relations et amitiés.

Après six années en Côte d’Ivoire, j’ai néanmoins pensé utile d’effectuer ma rentrée dans l’atmosphère « métropolitaine », en tenant à Paris, pendant quatre ans, l’un des postes de chargés de mission du Secrétariat d’Etat chargé de la Coopération. Il s’agissait d’une activité d’étude et de conseil d’un indéniable intérêt intellectuel, mais qui me laissait quelque peu insatisfait, en raison de son caractère trop diplomatique et dépourvu de responsabilités effectives.

Je souhaitais prendre une fonction plus concrète, plus directement opérationnelle, et surtout devenir pleinement responsable d’une unité de gestion et d’action, dotée d’une certaine autonomie. J’ai eu la chance de trouver tout cela dans le cadre des Sociétés d’Autoroutes.

Vingt huit années pour les autoroutes.

Je suis entré aux sociétés d’autoroutes, en 1969, comme responsable d’un service de la SCET, chargé de gérer les cinq Sociétés d’Economie Mixtes Concessionnaires d’Autoroutes (SEMCA), qui finançaient, à l’époque, la construction et l’entretien de l’ensemble du réseau autoroutier concédé.

Ces sociétés étaient beaucoup plus petites que maintenant, puisqu’elles totalisaient seulement 1000 kilomètres d’autoroutes (contre 7630 actuellement). Elles avaient surtout beaucoup moins de responsabilités propres, les services de l’État assurant pour leur compte les activités d’entretien, de même que la maîtrise des travaux de construction. Malgré leur statut d’économie « mixte », elles dépendaient entièrement de l’État, et l’on disait couramment qu’il s’agissait de « faux nez de l’État »

Mais, dès 1970, les choses ont notablement changé lorsqu’un Ministre de l’Equipement d’inspiration libérale (Albin Chalandon) a décidé, d’une part d’ouvrir aux sociétés privées la possibilité de devenir concessionnaires d’autoroutes, d’autre part d’amener les SEMCA à s’organiser et à fonctionner « comme des sociétés privées », en assumant la pleine responsabilité de leurs opérations de construction et d’entretien.

Cette décision a entraîné, dès 1971, l’absorption par les SEMCA des services d’entretien précédemment gérés par l’État, la création d’un maître d’ouvrage spécialisé dans la construction autoroutière (Scetauroute), et la création, dans chaque société, d’une Direction Générale propre.

Après avoir géré pendant trois ans l’ensemble des cinq SEMCA, je suis donc devenu en 1972 Directeur Général de la Société de l’Autoroute de la Vallée du Rhône (SAVR), société dont la mission consistait alors, pour l’essentiel, à assurer la liaison Lyon - Marseille. Jusqu’à mon départ en retraite, en 1998, j’ai occupé le même poste, sous l’autorité de six présidents successifs, mais mes fonctions ont considérablement évolué avec le développement extraordinaire que cette société, assez vite rebaptisée «Autoroutes du Sud de la France », a connu pendant toute cette période.

Une grande époque pour le réseau autoroutier français

Les 28 ans que j’ai consacrés aux autoroutes ont, en effet coïncidé avec la grande époque de la constitution du réseau autoroutier français, l’Etat ayant décidé dès 1970 de rattraper le retard que la France avait pris dans ce domaine, et d’utiliser pour cela toutes les ressources financières et techniques disponibles, tant dans les SEMCA, que dans les entreprises privées. A partir du début des années 1970, il a donc attribué de nombreuses concessions autoroutières, soit aux SEMCA agissant comme maîtres d’ouvrages, soit directement à des groupements d’entreprises assurant à la fois la maîtrise d’ouvrages et les travaux.

C’est ainsi qu’ASF été appelée à prendre la concession de la plupart des autoroutes de liaison situées dans la moitié sud de la France :

Partie de la Vallée du Rhône, l’ASF s’est donc lancée à partir de 1972 dans une « Conquête de l’Ouest » d’autant plus spectaculaire que la plupart des liaisons concédées avant 1980 ont été mises en service dans des délais record, les procédures préliminaires et la composition des projets étant alors beaucoup plus simples et plus légères qu’à l’heure actuelle.

C’est seulement au cours des années 1980 et 1990 que sont apparus de très nombreux textes relatifs aux débats préliminaires et aux études d’impact, à la protection de l’environnement et à celle des riverains, à la publicité des marchés et à la mise en compétition des maîtres d’½uvre, à l’ouverture des carrières et à l’archéologie préventive, ce qui a finalement abouti à encadrer la conception et la construction des autoroutes d’un ensemble légal et réglementaire extraordinairement complexe.

Directeur Général d’ASF

Pour faire face à ce « harcèlement textuel », coûteux et gênant mais évidemment inéluctable, il a fallu, à plusieurs reprises, renforcer et restructurer l’organisation de la société dans le domaine de la maîtrise d’ouvrage et du contrôle des projets, si bien que la Direction de la Construction d’ASF est devenue un modèle d’organisation et de rigueur, apte à maîtriser et diriger de bout en bout des projets difficiles et complexes, à surmonter bien des obstacles et aussi à éviter qu’aucun des très nombreux marchés publics passés chaque année au nom de la société ne donne lieu à un incident grave.

De même, dans le domaine de l’exploitation, c’est-à-dire celui de l’entretien des ouvrages, de la perception des péages, de la sécurité de la circulation, de l’information des usagers, des travaux sous circulation, de la surveillance des sous-concessionnaires, ainsi que de la gestion de tout le personnel nécessaire à ces activités, il a fallu accompagner l’expansion du réseau par la création sur le terrain de Directions régionales et de Districts d’entretien, mais aussi mettre en place une organisation et des méthodes destinées à tirer le meilleur parti des progrès techniques, à réduire les coûts d’exploitation, à apporter le meilleur service à nos clients, à améliorer la gestion des crises, etc.

Pour l’automobiliste circulant sur autoroute, les innovations les plus visibles de ces dernières années sont l’arrivée des radios autoroutières, l’annonce des temps de parcours et l’automatisation du péage, mais devant tous ces progrès, apparemment si simples, il ne peut se douter de la somme d’études et d’innovations qu’ils exigent. Encore moins pourrait-il supposer tous les efforts qui sont faits en coulisse en vue d’améliorer constamment le niveau général du service.

En fait, l’exploitation des autoroutes est un métier, qui a été progressivement inventé et mis au point au cours des trente dernières années et qui n’a certainement pas fini d’évoluer, car les services annexes apportés aux automobilistes, notamment dans le domaine de l’information sur le trafic, répondent à une demande forte des clients et sont, à leurs yeux, la première contrepartie du péage ; les méthodes de l’exploitation des autoroutes sont en progrès constant et constituent un nouveau métier dans lequel la France et ses sociétés d’autoroutes ne sont pas en retard !

Je dois avouer que j’ai pris grand intérêt à l’activité permanente et foisonnante qu’exigeait l’expansion du réseau, ainsi qu’à toutes ces innovations techniques, menées d’ailleurs par l’ensemble de la « communauté autoroutière », dans un très bon esprit de coopération et d’émulation.

Par ailleurs, le Directeur Général d’ASF devait veiller attentivement à maintenir l’équilibre financier de la société. Par chance, le trafic et les recettes augmentaient avec régularité et généralement plus vite que ses (prudentes) prévisions, ce qui assurait à la société une bonne situation financière et lui a permis, non seulement de rembourser, dès 1993, la totalité des avances initialement consenties par l’Etat, mais aussi de renflouer deux sociétés autoroutières voisines plus ou moins déséquilibrées ; « ACOBA » absorbée en 1991, et « ESCOTA » devenue sa filiale en 1994.

Lors de mon départ en 1998, ASF avait déjà mis en service 1925 kilomètres d’autoroutes, au rythme moyen de plus d’un kilomètre d’autoroute par semaine, et le quart de cette longueur avait déjà été élargi à 2x3 voies pour faire face à la croissance du trafic, qui était toujours demeurée forte et régulière, malgré les « chocs pétroliers » et autres « crises économiques »

Depuis mon arrivée en 1969, ASF avait ainsi multiplié par huit la longueur de son réseau en service, par cent le volume de ses recettes annuelles, et il lui restait alors à mener à bien la construction de 700 kilomètres supplémentaires.

J’ai été heureux de pouvoir léguer à mon successeur (Jacques Tavernier) une très belle société, prospère et en bon état de marche. On ne parlait pas encore, à l’époque, de privatisation ni même d’ouverture du capital mais il était clair que la société serait prête à aborder l’une ou l’autre de ces mutations lorsque son actionnaire majoritaire, c’est à dire l’Etat, le lui demanderait.

Aménageur et promoteur.

L’un des débats qui agitent parfois les concessionnaires d’autoroutes porte sur leur double rôle d’aménageurs et de promoteurs. À mes yeux, un concessionnaire d’autoroutes doit d’abord se comporter comme un aménageur d’espaces publics, analogue à ceux qui, dans les siècles passés, construisaient nos canaux, nos ponts, nos chemins de fer, les places et les avenues de nos villes.

C’est pourquoi, j’ai toujours pensé qu’à l’instar de ses grands prédécesseurs, et chargé comme eux de la construction d’ouvrages qui franchiraient les siècles, le concessionnaire d’autoroutes ne devait pas se contenter de faire de l’utile mais il devait aussi faire du beau, c’est à dire construire des ouvrages soignés et bien conçus, être attentif à la qualité architecturale des bâtiments comme à celle des aménagements paysagers, et surtout ne pas lésiner sur les caractéristiques géométriques des voies.

Dans le même esprit, je me suis personnellement impliqué dans la conception des « panneaux marrons » de l’animation culturelle et touristique, que je considère même comme une forme d’art.

Enfin, j’ai souvent recommandé aux paysagistes chargés de concevoir les aires de services et de repos, de les traiter comme des « parcs paysagers », comme les « nouveaux jardins » de notre temps.

Tous ces efforts de qualité et d’esthétique me paraissaient justifiés pour des infrastructures aussi durables, qui doivent non seulement faciliter les déplacements mais aussi contribuer à rehausser l’image de notre pays et son attrait touristique.

Mais ce point de vue n’était pas partagé par tous, certains de mes collègues estimant qu’un concessionnaire est d’abord un promoteur qui doit équilibrer ses comptes, veiller à ce que ses dépenses ne dépassent pas durablement ses recettes et donc toujours privilégier les investissements les plus économiques, même si cela peut nuire parfois à la qualité des aménagements…

Quoi qu’il en soit, ce métier de promoteur d’autoroutes est particulièrement délicat, en raison de la longueur des temps de retour. La construction et l’exploitation de ces ouvrages sont, en effet, des opérations lourdes et lentes dont les résultats financiers n’apparaissent qu’au bout de nombreuses années ; ce n’est qu’à l’achèvement de l’avant-projet que l’on en connaît vraiment le coût, ce n’est qu’à la mise en service que l’on peut vérifier si les prévisions faites sur le trafic étaient bonnes, et ce n’est donc que fort longtemps après la décision initiale d’investissement que l’on peut savoir si les recettes équilibreront bien les charges de la concession.

De plus la durée des emprunts que l’on peut émettre sur les marchés financiers ne dépasse pas une douzaine ou une quinzaine d’années, c’est-à-dire qu’elle est beaucoup trop courte eu égard à la durée de l’amortissement technique comme à la durée des concessions. Ainsi, le concessionnaire autoroutier doit rembourser, en moins de quinze ans, la totalité des emprunts qui lui ont servi à financer l’investissement, alors que ces premières années sont justement celles qui ont les plus faibles recettes, et qu’il lui reste encore à percevoir des péages pendant des décennies ! Financer, par des emprunts à quinze ans, des infrastructures qui dureront des siècles est vraiment une gageure extraordinaire.

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