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La
préparation d'une plaquette par les camarades de notre
promotion m'a interpellé. Nos parcours professionnels et
personnels ont été très divers, et l'ensemble de
nos réflexions d'aujourd'hui sera certainement riche et plein
d'intérêt. Cependant, m'estimant suffisamment occupé,
mon premier mouvement a été de rester à l'écart,
mais je me suis décidé finalement d'une part à
proposer quelques souvenirs d'une expérience professionnelle
qui a marqué ma vie, et d'autre part à résumer
ce que j'ai entrepris depuis quelques années en généalogie.
Comment
agir pour qu'un grand organisme améliore ses méthodes ?
Jeune ingénieur de l'Armement, au cours des premières années
1960, j'ai participé à la réalisation en Europe,
sous licence américaine, d'un grand programme militaire. De
tels programmes se déroulent sur plusieurs années,
impliquent de nombreuses sociétés et organismes,
obligent à mettre en place des actions de toutes espèces
et qui vont durer des décennies afin de définir et
concrétiser les matériels, leur soutien, leur
maintenance, la formation des personnels, etc. Les États-Unis
étaient à cette époque les pionniers en la
matière.
Quelques
années plus tard, ayant été muté dans un
autre secteur de l'Armement, j'ai été désigné
pour présider la commission d'enquête chargée
d'analyser un échec très pénalisant, intervenu
au cours du développement d'un nouvel engin. Cette commission
officielle était composée d'ingénieurs des
firmes et des services concernés. Rapidement elle a localisé
l'origine « physique » de l'échec et
dégagé les actions correctives immédiates . . .
qu'il fallait bien appliquer, mais qui ont coûté sept
mois de retard !
J'avais fait constater à la commission que les méthodes qui
avaient été employées pour organiser et mener le
programme étaient insuffisantes, qu'elles rendaient
inévitables de tels échecs et retards, et qu'elles
devaient être revues; notre rapport d'enquête proposait
donc de créer les outils méthodologiques qui manquaient
alors, et pour cela de nous inspirer de ceux du Department of
Defense.
En effet pour avoir l'assurance de réaliser des bons produits, il
ne suffit pas de maîtriser pleinement la science, la technique
et les technologies, il
faut aussi employer des méthodes de
travail solides. Pour
illustrer, quand un ingénieur
spécifie à un sous-traitant le besoin que devra
satisfaire la fourniture qu'il lui commande, s'il oublie de préciser
que pendant telle phase de sa vie cette fourniture sera soumise à
telle contrainte particulière (une surpression par ex), on ne
devra pas être surpris de constater la défaillance quand
on utilisera le système; l'organisme responsable d'un
programme doit donc imposer aux ingénieurs ayant à
établir un cahier des charges d'employer pour cela un
plan-type qui les astreigne à passer en revue toutes les
phases de la vie du produit qui sera utilisé (y compris les
plus fugaces ou d'apparence anodine, car l'une de celles-ci peut être
dimensionnante) . . . Ce devrait être une évidence !
Après quelques réticences, ces propositions ont été
acceptées; l'effort a été fait pour mettre en
place les outils nécessaires pour spécifier un besoin,
organiser le déroulement temporel d'un programme, obtenir des
industriels la mise en place des outils et organisations
indispensables, ... et pour obtenir leur utilisation réelle.
J'ajoute que les programmes suivants en ont bénéficié
et se sont déroulés beaucoup plus facilement. La marche
vers « la maîtrise de la qualité »
était enclenchée et elle a porté ses fruits.
Ma réflexion d'aujourd'hui porte sur la
difficulté que
l'on rencontre quand on doit faire changer les façons de faire
dans un grand organisme.
Bien des responsables ne se rendant pas
compte de l'évolution qui a pu intervenir dans la taille,
l'ampleur, la nouveauté des besoins à satisfaire,
refusaient de sortir de leurs habitudes ou ne voyaient pas la
nécessité de s'adapter à un cadre qui n'était
plus simplement franco-français.
Ils se contentaient de continuer comme par le passé, niant des
notions « nouvelles », « inventées »
par d'autres, étrangers de surcroît (le Français
est souvent facilement content de ce qui se fait chez lui).
Parmi les remarques les plus typiques entendues j'ai gardé le
souvenir de celles-ci :
- ce n'est pas à moi qu'on
va apprendre à
faire des sous-marins ! (ou des chars, ou des avions, ou des
radars . . .)
- tout
ça, c'est des « anglo-sax-conneries ! »
(sic) (ailleurs, dans les industries de grande consommation, on se
gaussait volontiers des cercles de qualité et autres
« japoniaiseries » !).
- qualité,
fiabilité, maintenabilité, traçabilité . . .
débilité !, stérilité ! »
(resic).
Dans un tel environnement, comment avancer ?
Intellectuellement convaincus, les grands responsables, surchargés
par le court-terme, ne sont pas suffisamment disponibles pour donner
une impulsion continue. Il faut alors proposer, provoquer parfois,
être patient et prêt à profiter des circonstances :
en s'appuyant sur un échec, une difficulté, un retard,
on peut faire prendre conscience « qu'on l'a bien mérité
et bien cherché ! » . . . et qu'il faut changer ses
façons de procéder.
Dans le domaine que je connais, le retard a été rattrapé.
Dans
d'autres, au vu des polémiques entraînées par
exemple par le fonctionnement de la Grande Bibliothèque, on
peut se demander s'il ne reste pas beaucoup de progrès à
faire dans notre pays pour que les grands projets soient menés
rationnellement, afin de satisfaire les besoins réels de leurs
utilisateurs, et de ne pas engendrer des coûts, nuisibles et
inutiles, en investissement et en fonctionnement.
Pourquoi
la généalogie ? Pourquoi pas la généalogie ?
Depuis 1995, année de ma retraite, je m'intéresse à la
généalogie (mais aussi à d'autres sujets).
La généalogie a permis de satisfaire ma curiosité . . .
et de faire des découvertes. Je pensais être
issu de paysans limousins et d'artisans (charpentiers, meuniers,
boulangers..). En remontant le temps, la diversité de mes
ancêtres est apparue, puisque se côtoient parmi eux des
métayers, des « laboureurs » (ou paysans
aisés), bien sûr, mais aussi des « chirurgiens-jurés »,
des artisans comme des forgerons, des meuniers-papetiers, des
aubergistes et marchands, et aussi des nobles plus ou moins
désargentés. Certaines de leurs professions paraissent
originales, voire mystérieuses (praticien, artisan du commun,
dragon au Régiment de Lautrec, chirurgien-juré, etc.).
En remontant les générations j'ai eu des surprises. La
première a été de constater par un mariage de
1749, descendre d'une famille de petite noblesse, puis par là
de la famille de Fénelon, archevêque de Cambrai -, et
en remontant, des Caumont, et même des Capétiens.
Une autre surprise a été de rencontrer un métallurgiste
venu vers 1760 de Neufchâtel, rattachée alors à
la Prusse, fonder une petite industrie en Limousin pour y fabriquer
des objets en fer (clous, fils de fer, petites pièces de
forge , . .) et y faire souche.
Une autre a été de découvrir les caractéristiques
(endogamie par exemple) et l'originalité des milieux
professionnels, tels celui des meuniers-papetiers qui, installés
sur les rivières qui fournissaient la force motrice,
transformaient les vieux habits et chiffons en rames de papier, ou
celui des « laboureurs » aux dix-septième
et dix-huitième siècles.
La généalogie est d'abord bien sûr la recherche de
nos sources, mais elle permet aussi de mieux connaître comment
vivaient ceux qui nous ont précédés et de se
poser des questions sociologiques plus générales
comme : quels soins pouvait bien dispenser en 1750 un
maître-chirurgien dans un petit village de 1500 habitants ?
pourquoi à la même époque un métallurgiste,
né à Neufchâtel, s'est-il installé en
Limousin et qu'allait-il faire à l'arsenal de Rochefort où
il est mort ? comment vivaient les fabricants de papier aux
dix-septième et dix-huitième siècles, quelles
étaient leurs relations avec leurs fournisseurs de matières
premières (les chiffons...) et avec leurs clients, quels
procédés techniques employaient-ils ? pourquoi
décidait-on, entre 1850 et 1910, d'aller travailler dans le
bâtiment à Lyon ou à Paris ? comment devenait-on
entrepreneur, ou architecte ? combien réussissaient ? combien
échouaient ?
La
généalogie est une source de plaisir parce qu'elle
est aussi un jeu intellectuel (plus complet que puzzles ou
mots croisés, . . . et peut-être même comparable au
bridge ?). J'ajoute que la découverte d'un ascendant ignoré
jusque là, la recherche, la trouvaille et l'étude
détaillée d'un acte notarié un peu curieux comme
l'inventaire après décès des biens d'un ancêtre
de 1810, me paraissent tout à fait comparables à la
traque et l'examen d'une pièce nouvelle rare pour le
collectionneur de monnaies, de timbres ou de tableaux (c'est aussi
une passion moins coûteuse !).
Le généalogiste doit organiser son action, se déplacer
« sur le terrain », s'intéresser et
s'adresser à d'autres, leur demander une aide, les
comprendre, et, en retour les informer. Son action lui permet de
situer tel ou tel cousin rencontré, de prendre contact - et de
nouer des relations avec des personnalités originales, dotées
de curiosité intellectuelle.
Elle implique une forte capacité de relations humaines, et a
été pour moi à l'origine de bien des rencontres,
promenades et sorties intéressantes et agréables,
comme :
- retrouver et visiter
les
ruines du moulin où, en 1775, le métallurgiste venu de
Neuchâtel fabriquait des clous et du fil de fer . . ., imaginer sur
place quels étaient ses équipements : roues à
aubes, martinets, bancs à étirer, etc.
- visiter le château de
Jumilhac aux toits dignes de la maison de la Belle-au-Bois-Dormant;
et d'autres demeures comme celles de Saint-Jean de Côle,
Puyguilhem, Fénelon, Salagnac, . . . et ainsi mieux connaître
ma province et le département voisin de la Dordogne;
- converser avec un
« cousin », auteur d'un ouvrage sur les
victimes limousines de la Terreur, ou une « cousine »
qui étudie systématiquement aux Archives
Départementales les actes notariés dont elle extrait
toutes sortes de faits révélateurs des relations
sociales ;
- visiter, près de
Sarlat, le château de Castelnaud et son musée de
machines de guerre ;
- visiter à Auray
l'église Charles de Blois.
On peut encore, en grappillant parmi les personnages rencontrés
- apparentés ou non -, s'intéresser à ceux qui
sortent de la norme, comme
- Antoine Chapelle de
Jumilhac, créateur vers 1600 d'industries de forge-métallurgie
en Périgord,
- Charles de Vanolles,
intendant de Franche-Comté en 1680,
- le premier
évêque constitutionnel de Limoges, conventionnel,
régicide, mort en Limousin en 1822, peut-être bien un
cousin lointain
- Joseph-Louis
Gay-Lussac,
le physicien, (X 1797),
- François Mitterrand.
Les archives que l'on consulte révèlent
parfois des comportements originaux ou des traits de société
qui surprennent, font sourire, ou réfléchir, comme :
- les relations entre un gendre et son beau-père vers 1615,
- l'enlèvement d'une
jeune fille promise au couvent en 1658,
- la création du
premier corps de police à Paris en 1667,
- les
conséquences d'un oubli pour deux jeunes hommes pendant la
Révolution .... elles illustrent la prudence qu'il vaut mieux
adopter dans les périodes troublées,
- la notation d'un
officier
dans les années 1900 . . .
On
doit, au départ, admettre quelques évidences :
Premièrement,
les résultats de toute
étude généalogique comportent des incertitudes.
Il n'est pas toujours évident par exemple de distinguer l'un
de l'autre deux frères nés à un an d'intervalle,
qui portent le même prénom, et qui épousent le
même jour deux s½urs! A deux reprises j'ai dû,
ayant découvert des documents authentiques qui contredisaient
ce que j'avais écrit auparavant, rectifier des erreurs. De
plus, les études déjà éditées, et
qu'on est bien heureux d'utiliser comme sources de données,
comportent elles-mêmes des lacunes, et parfois des erreurs.
Deuxièmement,
le premier but visé - savoir qui étaient nos ancêtres -
ne peut qu'être approché. À lire les
historiens, à étudier les m½urs de certaines
époques, nous ne pouvons pas nous porter totalement garants de
la vertu de toutes nos aïeules (ni, bien sûr, de tous nos
aïeux).
Au-delà
de la distraction, la généalogie est une façon
ludique d'apprendre l'histoire des sociétés, des
individus et des événements, en surfant . . . un peu
comme on surfe sur Internet . . . et, bien sûr, sans prétention,
en souriant.
Voilà
pour mon ascendance. En ce qui concerne ma descendance, j'ai deux
fils (X 77 et X 83) et une fille (prof de math), et neuf
petits-enfants (dont sept filles !)
J'espère
n'avoir pas trop lassé ceux qui m'ont suivi jusque là.
Mes amitiés à tous.
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