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Bernard Maupu - Propos de voyages



Ma carrière, d'abord mili puis civile, m'a conduit à voyager un peu partout. Je ne peux résister à l'envie de vous en conter quelques anecdotes pittoresques qui, je l'espère, vous distrairont.

En Avril 56, jeune sous-lieutenant frais émoulu de l'E.A.G., je suis affecté à une compagnie du Génie à Meknès. L'effectif comporte un grand nombre de Marocains récemment libérés des camps de prisonniers Vietminh. La plupart ont été parachutés à Dien Ben Phu ; c'était leur premier saut, on leur avait promis une prime et l'attribution du prestigieux "Brevet de Parachutiste".

Je débarque à Meknès la veille de l'Aïd Sghrir, qui clôture le Ramadan, totalement ignorant des usages musulmans. Pour la fête, on avait bien fait les choses : 20 moutons soigneusement engraissés ont été rôtis à la marocaine, dans des fours en terre préalablement chauffés à blanc pendant des heures, puis. complètement fermés. Je me suis gavé de brochettes, de méchoui, de couscous, généreusement arrosés (à l'européenne) des bons rouges et rosés du terroir…. Le réveil du lendemain fut pénible.

Au Maroc, ce n'est pas la guerre ! Les dimanches d'hiver, on va skier au Mischliffen, magnifique station du Moyen Atlas au milieu des pins. La grande piste fait 200 m de dénivelé et la saison dure un bon mois. L'été, on va à Ifrane se rafraîchir sous les ombrages près d'un oued à truites, ou bien avec des camarades de Port-Lyautey, à la plage à Medhya, mais c'est un peu loin.

Le tour du Maroc par le Haut Atlas ne manque pas de charme. Parmi les nombreuses curiosités naturelles, l'Oum Er Rbia prend sa source dans une cuvette alimentée par une cascade au milieu des lauriers roses. Alentour, des bergers quémandent en souriant des cigarettes, des allumettes et des comprimés d'aspirine !

La confortable route goudronnée actuelle n'existe pas, ni les hôtels ***. Un âne, on dit là-bas un bourricot, couché au milieu de la piste nous refuse obstinément le passage ; coups d'accélérateur et de klaxon le laissent indifférent. Il a fallu lui botter énergiquement l'arrière-train pour qu'il consente à se pousser. Plus loin, un paysan essaie d'attendrir un sol ingrat à l'aide d'une charrue sans roue, attelée d'un chameau et d'un âne.

Entre Khénifra et Erfoud, la piste emprunte le Tunnel du Légionnaire. A l'entrée, est gravée dans la pierre cette noble sentence : "La montagne barrait la route. L'ordre fut donné de passer quand même. La Légion l'exécuta.

Je fais le circuit en 2 cv Citroën avec un ami. Entre les gorges du Dadès et celles du Todra, sites vraiment grandioses, la piste culmine à 2800m près de Semrir. À force de cogner sur les pierres de la piste, ma 2 cv fut tellement cabossée qu'il fallut changer le châssis au retour.

En 1958, je suis nommé à la Commission de contrôle du concours de l'X à Casablanca. Accompagné d'un gendarme, je me rends à Paris. Rue Descartes, on nous remet une enveloppe scellée qui contient les sujets et un container cylindrique avec les feuilles de papier qu'utiliseront les candidats pour la rédaction de leurs épreuves. Comme le retour est fixé trois jours plus tard, nous partons dans nos familles respectives, le gendarme avec le container, et moi j'emporte l'enveloppe des sujets qui passera trois jours dans le coffre de mon père, notaire à Pithiviers.

Au retour, nous prenons un avion militaire qui nous débarque à la base aérienne de Fès. Au moment de récupérer les bagages, plus de container. Après une heure de recherche, on le retrouve dans un hangar, chargé sur une remorque au milieu d'un tas de sacs et d'objets divers. Un incident de première grandeur fut évité de justesse ce jour-là !

L'hiver 62, devenu capitaine, je commande en Algérie une compagnie chargée de la réalisation d'un "chemin de pacification" de 30 km entre Djelfa et Bou Saada.

Mon P.C. étant à Boufarik près d'Alger, j'effectue le trajet, 600km, toutes les semaines, seul en jeep avec mon chauffeur. Bien sûr, c'est la guerre, mais je n'ai jamais eu d'ennui sérieux.

Un jour, sur le chemin du retour, une importante chute de neige bloque la route au Col de Ben Chicao. Impossible de continuer. Nous trouvons refuge dans un camp militaire voisin, à Boghari. C'est samedi soir ; le cercle des officiers donne une soirée dansante à laquelle je suis cordialement invité… en tenue de campagne : treillis, ceinturon, chaussures rangers.

Puis c'est la fin du chantier ; d'ailleurs, les accords d'Evian sont signés. Avec le général venu en avion léger pour l'inauguration, nous parcourons la piste en jeep : une vraie partie de tape-cul. Alors que commence le méchoui de circonstance se lève un fort vent de sable. La viande crisse sous la dent ; la fête est vite expédiée.

En fin 62, jeune marié et lassé de l'Algérie, je quitte l'armée et rejoins une entreprise de travaux pétroliers. On me confie la responsabilité d'un chantier de réinjection de gaz à…… Hassi Messaoud où je reste un an. A l'époque, l'indépendance n'est pas arrivée jusque-là. Des militaires français sont encore stationnés dans la région des sites pétroliers.

Un dimanche, nous invitons deux superviseurs américains à visiter les souks d'Ouargla. Ils sont charmés par le pittoresque du lieu jusqu'au moment où nous abordons le quartier des bouchers : les carcasses de mouton sont étalées ou suspendues en plein air, des essaims de mouches voltigent tout autour, sous le balancement nonchalant d'un éventail destiné à les chasser. Nos Américains sont dégoûtés de la viande pour le restant de leurs jours.

Un jour, débarque sur le chantier un groupe d'une vingtaine de jeunes femmes plutôt bien roulées qui viennent pour une visite ; spectacle insolite dans un lieu où la population est essentiellement masculine. Renseignement pris, c'est le directeur de la C.F.P. (devenue TOTAL) qui a envoyé un détachement des Folies-Bergères pour distraire son personnel à l'occasion de la Sainte Barbe.

En 68, mon entreprise est chargée de la construction de la raffinerie de Sihanoukville, au Cambodge. À l'époque, Norodom Sihanouk, pris d'une subite amitié pour la Chine de Mao, a déclaré la guerre aux Américains qui occupent le Sud Vietnam. Près de Sihanoukville est établie une batterie d'artillerie antiaérienne. Les canons sont recouverts d'une bâche ; soudain, une escadrille de chasseurs U.S. traverse le ciel. Les artilleurs se précipitent, retirent les bâches et s'installent à leur pièce; cela prend une demi-heure. Les avions sont loin : il n'y a plus qu'à rebâcher!

Le chantier est à une dizaine de kilomètres de la ville, en pleine nature. De part et d'autre de la route d'accès, s'est bâti un village de planches où loge le personnel de l'entreprise de Génie Civil. Il s'y vend de tout, il y a même une école. Le chantier est parcouru par des vendeuses ambulantes qui proposent oranges et ananas qu'elles épluchent devant nous. Les mouvements de terre et de déblais se font à la main, longues files de femmes munies de balanciers, tige de bois posée sur leur épaule ; les matériaux sont chargés dans un couffin suspendu au balancier, un devant, l'autre derrière, avec souvent un bambin agrippé sur le dos. Il arrive que les balanciers soient utilisés par des hommes, mais alors, la technique est différente : le couffin avec la charge se trouve au milieu, et il y a un porteur par-devant et un autre par derrière.

Ce chantier me procure l'occasion de visiter le site d'Angkor, qui n'est à l'époque pas très différent de celui, que découvrit Malraux quarante ans plus tôt. J'y suis retourné en 2002 ; les temples sont les mêmes, mais à Siem Réap s'érige une métropole touristique où il est difficile de trouver quelqu'un parlant français, pourtant langue officielle du Cambodge de naguère. Le gigantesque aéroport en construction permettra d'accueillir les gros porteurs venant d'Osaka et Tokyo avec leur cargaison de touristes pour le week-end.

À la fin des années 70, nous sommes contactés par une société argentine intéressée à la recherche pétrolière off shore. Elle désire installer un "yard" de construction de plates-formes pétrolières en Terre de Feu. Je me rends à Buenos Ayres et rencontre un ancien officier de marine qui doit m'accompagner. Avant de partir, il se rend à la banque dont il ressort avec un attaché-case rempli de liasses de pesos. Il m'explique que les chèques et cartes de crédit n'ont pas cours en Terre de Feu et que tout se paye cash : hôtel, location de voiture et même l'affrètement d'hélicoptère qui nous sera nécessaire.

La Terre de Feu est partagée entre le Chili et l'Argentine ; les deux pays sont d'ailleurs en guerre pour un différent frontalier dans la région. La côte atlantique est très inhospitalière, vents violents, marées les plus fortes du monde, plus de dix mètres... Par contre, la région d'Ushuaia sur le canal Beagle est très agréable et accueillante, très accidentée, les sites sont splendides. Nous rencontrons un éleveur de moutons qui nous propose de visiter son exploitation : 25 000 hectares, 20 000 moutons. Nous nous y rendons en hélico ; on est en septembre, c'est l'hiver ; le terrain ressemble au massif du Mont Blanc, en moins haut. Quand nous atterrissons, une horde de moutons ressemblant à des mouflons s'enfuit au galop.

Revenons au projet de yard : premièrement, où trouver un terrain plat de quelques hectares en bordure du canal ? Deuxièmement, la population locale est composée de militaires, de fonctionnaires, et de commerçants, car le tourisme est florissant. La main d'½uvre ne peut venir que du Chili voisin, mais ce sont des "ennemis". Enfin, tous les approvisionnements et le matériel viennent de la région de Buenos Ayres, distante de 3500 km avec la traversée du détroit de Magellan en territoire chilien… Aux yeux de nos interlocuteurs financiers, ces légers inconvénients ne tiennent pas la route face à un argument majeur : la Terre de Feu est une zone franche : pas de droits de douane, pas d'impôts sur les sociétés ni sur les revenus !

Merci, si c'est le cas de m'avoir prêté attention jusque-là …

Quelques affiches de la campagne de Kès. Malheureusement, elles sont toutes du même tandem, ce qui n'est pas très exhaustif. (NDLR : c’était un bon tandem !)


Et quelques souvenirs du casert et des voyages mili :

Casert 87, 1ère année. Photo prise sur un toit dans la cour de l'infi.
De gauche à droite : au 1er rang, Saurel, Meunier, Lepers, Gazet, Thauvin.
Derrière, Colcombet, Léger, Saint-Loubert-Bié, Gaudemer, Maupu.

Salle 221, en 2ème année : virée Dimanche aux bords de Seine.
De g.à d. Lefoulon, Saint-Loubert-Bié, Maupu, Boillot, Baujat, Lepers, Arhanchiague, Colcombet.

Baignade : photo prise pendant le voyage mili à Saumur en Juin 54 après une baignade en Loire.
De g. à d. Lastennet, Léger, Maupu, Meunier, Gaudemer, Colcombet.

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